Le materiel

L’objectif n’est pas de faire un guide, mais mon expérience du chemin fut riche et alimentée par beaucoup d’anecdotes et de conseils judicieux de mes condisciples.
Le Camino commence par tous les sacrifices à faire en préparant le sac à dos.
Car beaucoup des choses qui nous paraissent indispensables doivent rester à la maison. Finalement ne montent dans le sac à dos que les articles qui assure la vie du quotidien et « le » petit plus léger qui fait plaisir.
Une règle simple : ce qui ne sert pas quotidiennement est à bannir du sac!
Exception faite des quelques médicaments indispensables achetés sur ordonnance avant de partir.
N’oubliez pas que l’Espagne est un pays super civilisé et les pharmacies bien achalandées.
Les pharmaciens font un effort pour comprendre les besoins des pèlerins, qui sont la plupart du temps toujours les mêmes.
Dans beaucoup de villes, un dispensaire s’occupe gratuitement de soigner nos maux physiques.

La toilette/lessive

Un savon de Marseille qui fait double emploi : la lessive du corps et des vêtements.
Une mini brosse à ongle pour la crasse corporelle qui résiste et les taches difficiles, c’est accessoire. Mais au bout de deux mois de route on apprécie de pourvoir toujours rester propre.
Un gant de toilette pour assurer un décrassage en profondeur, c’est aussi accessoire.
Une serviette de toilette de sport, légère, avec une grande capacité d’absorption et un séchage rapide.
Shampoing, le plus petit flaconnage possible.
Un rasoir même si je suis une fille, 2 mois c’est long.
Des tongues, nos pieds sont la partie de notre anatomie la plus importante pour nous amener à Compostelle. Il est nécessaire de les isoler d’éventuels microbes dans la douche. Toujours se doucher en Tongue. Dans le même ordre d’idée, veiller à ne pas s’asseoir sur les sièges des toilettes ! Au bout d’une semaine, le pli est pris au bout d’un mois et demi on a oublié fonctionnalité de cet objet.
Des épingles à nourrice, pour accrocher le linge, il y a parfois du vent et c’est pratique pour faire sécher les chaussettes sur le sac à dos.
Une ficelle relativement longue, pour faire un fil à linge dans le cas ou le ciel n’est pas clément et ou l’albergue n’est pas conçue pour faire sécher notre linge, la débrouillardise domine. Accessoire.
Une aiguille et du fil, j’ai recousu un de mes pantalons plusieurs fois. Certains les utilisent pour soigner les ampoules.
Papier toilette

La nuit

Un sac de couchage chaud mais super léger : 500 Gr (Lafuma 600 extrême)
Boules quiess, pas besoin de faire un dessin, les dortoirs sont bruyants.
Essence d’Eucalyptus, l’odeur de propre lié à l’Eucalyptus me permet de m’endormir en toute sérénité, sans trop me demander quels sont les bébêtes qui occupent le même matelas que moi. Accessoire.
Brosse à dent de voyage et dentifrice, dernier geste avant de dormir, l’impression de propre persiste longtemps.
Une lampe frontale pour gérer facilement les déplacements nocturnes, voir marcher si cela vous tente.
Un super baladeur de musique et le chargeur : les nuits sont longues. Extinction des lampes obligatoire à 10 heures pour un réveil autour de 7 heures. 9 heures de sommeil, mission impossible pour moi, donc la plupart des nuits je m’autorise 2 heures de musique. Accessoire
Un caleçon de nuit avec l’un des trois T. shirts me sert de pyjama
Et voilà qui permet de passer une agréable nuit dans les bras de Morphée.

La pluie

Le poncho, couvre le sac et la pèlerine.
Les guêtres empêchent les pieds d’être mouillés. La résistance du gortex n’excède pas les trois heures sous la pluie et le séchage des chaussures est problématique après plusieurs jours de pluie d’affilé. Grosse spécialité de la Galice ! Accessoire.
Mon chapeau Australien complète l’équipement, je n’ai pas d’essuie glace sur mes lunettes et le bord du chapeau est super efficace, il garantie mon étanchéité. Il me protège aussi du soleil qui illumine fortement le chemin. Il sert d’oreiller à l’occasion et fait beaucoup parler !
Les poches à congélation Zip Loc préservent l’intérieur de mon sac à dos. Trois tailles. Une pour chaque besoin. J’organise mon sac à dos en poches étanches par fonctionnalité : nuit, pluie, toilette/lessive, pharmacie, trousse de secours, vêtements, papier. Parfaitement étanches et de fermetures faciles, elles sont transparentes et ne font pas de bruit. Vous constaterez rapidement que l’utilisation de poche traditionnelle est un supplice pour les oreilles de vos congénères qui aimeraient dormir encore un peu avant de sortir de leur lit !
Fin prêt pour essayer de passer entre les gouttes !

Les papiers

Crédentiale, le passeport du pèlerin. Elle est demandée chaque soir pour bénéficier des albergue de pèlerin.
Carte d’identité, nous sommes en Europe.
Carte bleue visa pour gérer les dépenses. La nuitée peut aller de donativo (ce que vous voulez donner) à 7 Euros pour les albergues privées, mais il y a aussi des pensions, des casas rural, des hôtels…. Le repas pèlerin :7 Euros, le café :1 Euro. Budget 20 à 25 Euros.
Un gilet sans manche et plein de poches contenant : les papiers, l’argent, l’appareil photo, le baladeur, le téléphone portable bref tous les biens ayant une quelconque valeur. Je le place à l’intérieur de mon sac à dos, au sommet et quand je m’arrête pour déguster un café ou visiter une église je l’enfile. De même la nuit il se trouve en générale sous mon oreiller et il me suit jusque sous la douche.

Le sac à dos

Poids : 8 kg sans l’eau et la nourriture.
Capacité de 50 kg.
Bien adapté avec des poches extérieures.
Une à droite isotherme pour rentrer la poche à eau de 2 litres.
La poche de droite contient le pique nique du jour.
La poche au sommet la trousse de secours et le poncho.
La poche du dessous du sac le talc pour les pieds et mes chaussures de détente des nus pieds de sport presque complètement fermés avec une semelle montagne. Ils me permettent éventuellement de marcher avec si nécessaire. Parfois les ampoules sont gigantesques et les pieds ne rentrent plus dans les chaussures.
Une attache pour mes 2 bâtons. J’ai besoins de 4 pieds pour marcher. Plusieurs de mes amis m’ont rejoint dans l’utilisation de ses deux ustensiles qui me sont indispensables pour supporter mon poids.

Les vêtements

Une veste ultra légère 100 gr, coupe vent et étanche
Une polaire épaisse, le camino passe en altitude et les soirées peuvent être fraîches (sep/octobre)
Une polaire sans manche, des gants et un bonnet. Accessoire en fonction de la saison.
Deux pantalons transformables en short et à séchage rapide.
Trois T shirts de sport, ils filtrent la transpiration et sèchent rapidement dont un qui tourne pour la nuit (trois couleurs différentes).
Trois pairs de chaussettes neuves adaptées aux chaussures. Pour 1000 km j’en ai racheté en cours de route.
3 slips et 2 soutiens gorge.
Un grand foulard, style chèche aussi grand que moi. Il sert de chemise, de drap…Essentiel
Une paire de chaussure déjà bien testée et confortable.
Des nus pieds
En fait cette liste tient compte de ce que je porte sur moi aussi !

Les spécifiques

Une deuxième paire de lunette.
Des verres adaptables pour protéger du soleil ou lunettes de soleil.
Deux genouillères pour pouvoir marcher jusqu’à Compostelle.
Un matelas basic qui se place en travers du sac à dos. Assure quels que soient les conditions d’hébergement de dormir isolé du sol et procure pour la sieste un inégalable confort.
Un bon couteau. Toujours utile.
Un quart métallique. Toujours utile.
Deux battons télescopiques avec amortisseurs, quatre pieds c’est mieux que deux !

La pharmacie

Crème solaire et stick à lèvre.
Crème relaxante pour les muscles.
Crème pour les pieds (GEHWOL).
Crème hydratante.
Talc
pour talquer les pieds le matin avant de partir.
Elastoplaste
Compeed
Désinfectant : Bétadine en crème
Pansements
Mini ciseaux robustes

Multicentrum : vitamines plus minéraux de A au Zinc
Anti inflammatoire en crème

Sécurité

Un sifflet, une couverture de survie.

Voilà le contenu exhaustif de mon sac à dos!

Juste un dernier mot le respect de son corps et une écoute attentive de ses besoins sont encore les meilleurs atouts sur le chemin. L’échange des trucs entre pèlerins est souvent très utile et j’ai appris l’humilité d’accepter une main tendue.

Foire aux questions !




Via Plata (Caceres-Santiago)
Camino Frances/ Chemin de Tours (Bordeaux-Santiago)
Camino Aragones (Somport-Puente la Reina)

Posez vos questions!

30 Mai

30 ème Etape : Puente Ulla-Santiago 22 Km

Départ dans un petit matin blafard. Le brouillard s’accroche dans la vallée et bientôt je débouche au-dessus de cette nappe gazeuse. Le spectacle est magnifique.
Par des sentiers bien tracés, je traverse des forêts d’Eucalyptus. A Capilla de Santiago le refuge a déjà fermé ses portes, à 9 heures.

Je prends le temps de concocter une surprise pour Rejeanne et Bob. Un message inscrit sur une feuille d’écorce d’Eucalyptus, accompagné de leurs friandises préférées, le tout enveloppé dans une poche transparente et étanche, accroché bien en vue sur une borne du Camino.

La forêt embaume.
Plus loin, je décide de tracer un nouveau message dans la terre pour mes amis. Je pense à ajouter la date du jour. Je prends conscience que j’ignore combien de jours nous séparent car il y a longtemps que nous nous sommes quittés.

La forêt fait place à une grande plaine.
De maison en maison je sens que je m’approche de Compostelle. C’est bien aujourd’hui que je vais y arriver !
Repas de midi : une boite de sardines et du pain, cela suffira à mon bonheur. Aujourd’hui pas de bar où déguster un bon « café con léché ».
Je suis à la fois pressée d’atteindre mon but et mes pas s’étirent car mon esprit ne veut pas achever ce Camino.

L’arrivée dans Santiago se fait sans tintamarre, ni trompettes.
Je suis dans une partie de la ville qui m’est inconnue. Mais bien vite je retrouve mes repères.

Je vais saluer Saint Jacques : Merci pour ce nouveau Camino.

En sortant j’accepte l’offre qui m’est faite d’une chambre. Je sens que mon corps à besoin de confort. Le dortoir du Séminaire ne pourra pas m’offrir la tranquillité requise pour le repos qui m’est nécessaire. La douche est merveilleuse, je lave tous les vêtements que je ne porte pas sur le dos.
Je m’accorde une sieste et je songe ensuite à faire un repas pantagruélique chez Manolo (la cantine des pèlerins à Santiago).

Je prends le temps d’envoyer des textos à travers l’Europe et de faire un détour par la bibliothèque pour compléter par des mails.
Une dernière formalité m’attend : je vais faire valider ma crédentiale. Je croise au hasard des rues des pèlerins rencontrés en chemin.

Une bière par ici, un repas partagé par-là. Avant de rompre la communauté du chemin nous avons besoin de dernières retrouvailles.

Je suis très touchée par les messages de félicitation que je reçois. J’apprécie pleinement l’immédiateté des textos que je lis en temps réel et qui me réchauffent le cœur.

Je dîne ce soir là en compagnie des deux écossais. Davis toujours en quête de rencontre lie connaissance avec April et sa mère, toutes les deux Irlandaises jusqu’au bout des ongles. Elles ont parcourues Camino Francès depuis Leon. L’humour Irlandais allié à l’humour Ecossais nous conduisent presque jusqu’au bout de la nuit.

3 juin

Le petit déjeuner nous trouve une fois de plus réunis.
Je partage avec délice ces instants merveilleux.
Bien sûre nous avons pris rendez-vous pour 2007.
Mais je savoure ces derniers moments de shopping en leur compagnie.
Je tente même un détournement en leur suggérant de modifier leur itinéraire de retour. Mais rien à faire, les avions ne sont pas d’accord avec un itinéraire passant par Bordeaux.

Ils m’accompagnent jusqu’à la gare des bus. La séparation est émotionnellement forte.
Voilà, je relis mes notes.
Cette sensation puissante d’être moi, solide sur mes deux pieds et aimable, existe bien.
J’ai écouté avec beaucoup d’attention les signaux de mon corps et il a bien résisté à la difficulté du Camino. Mon esprit quant à lui s’est livré à une reprise de confiance : j’ai affiné ma capacité à lâcher prise et conservé mon opiniâtreté.
Les découvertes ont été nombreuses et parfois douloureuses.
Merci.

2 Juin

Je saute de mon lit, alerte.
J’ai rendez-vous pour déguster un « chocolate con churros » avec Rejeanne et Bob.
La journée s’écoule divinement bien : « Magasinage », visite des toits de la cathédrale en Anglais. Mon guide d’hier nous à fait la faveur d’utiliser la langue de Shakespeare et non celle de Cervantès.
Il m’a même convié à participer gratuitement à cette nouvelle visite.
Le repas chez Manolo est mémorable et nous finissons tard dans la nuit dans un bar pour célébrer une dernière fois notre Camino.

1 Juin

Il est grand temps d’envisager d’écrire des cartes postales et de faire quelques emplettes.
Tous les soirs à 19h je m’installe sur les marches de la basilique à coté de la fontaine aux chevaux. C’est mon point de rendez-vous. Je suis en train de remettre de l’ordre dans mes notes lorsqu’une voix attendue pénètre mes oreilles : deux bras m’enveloppent de tendresse.
Rejeanne et Bob sont là.
L’émotion est intense, nous sommes tellement heureux de nous retrouver.
Ils sont en compagnie d’un autre couple de Canadiens, Georges et Diana.
Nous partageons immédiatement un thé, nos regards ont du mal à se détacher les uns des autres.
Je suis heureuse de les retrouver en forme. Fidèles à eux même.

Bob commente la lecture du dernier message que je leur ai laissé.
Il l’on vu ce matin, Rejeanne a presque esquissé des pas de danse en réalisant que je n’avais que trois jours d’avance. Eux aussi espéraient tellement cette nouvelle rencontre.
Je les ai raccompagnés à l’hôtel.
Malgré la joie de nous revoir, Bob et Rejeanne sont fatigués.
Ils ont marché depuis Puente Ulla ce matin, et leurs corps réclament du repos.
Nous prenons rendez-vous pour le petit déjeuner.

31 Mai

Mon esprit super entraîné me réveille à 7 heures, mais mon corps refuse de sortir de ce lit douillet. Je fini par m’extraie de mes draps, bien décidée à déguster un « chocolate con churros », mais une « tienda » m’offre du lait d’hortchata.
Les « churros » ce sera pour demain !
Je flâne autour de la cathédrale en cherchant de bons angles pour faire des photos.
Je tombe sur un drôle de bonhomme. Un Autrichien qui cherche une chambre pour cette nuit. Il m’invite à partager un café con leche. En 10 minutes je connais les tenants et les aboutissants de sa vie et il décide de m’expliquer la façon dont je dois vivre la mienne.
Je lui trouve bien vite une de ces charmantes matrones qui attendent le challant pour lui proposer le gîte. J’avoue me débarrasser avec précipitation du bonhomme.
Il fait le tour du monde en trois mois, mais sans moi !

A midi, je me rends à la messe du pèlerin. Je guette la trace de mon passage à Santiago dans la longue litanie du prêtre, mais je ne saisis pas les détails concernant la Via Plata.
Le faste de l’an passé n’est plus. La porte sacrée est fermée, le « botafumero » (énorme encensoir) ne se balance pas au-dessus de nos têtes.
Heureusement la petite sœur qui anime de sa superbe voix la cérémonie, nous entraîne dans le chant avec enthousiasme.

Je croise à nouveau la famille Irlandaise. Nous partons à la chasse aux cadeaux souvenirs, puis nous arrosons le repas d’une bonne bière réchauffée pas le soleil qui immonde la terrasse du café ou nous sommes attablés.
Je les regarde partir vers la verte terre d’Irlande avec une note de nostalgie. Notre rencontre fut brève, la vie se chargera sûrement de nous remettre en contact.
Quant à moi j’attends !
J’attends qui ?
J’attends quoi ! Rejeanne et Bob forcément.

Je passe régulièrement au bureau d’enregistrement des pèlerins pour savoir si mes amis sont arrivés. Mais pour l’instant pas de nouvelles. Alors j’attends.

Je souhaitais me rendre jusqu’au Finistère à pieds, mais la fatigue accumulée dans mon organisme est telle que la tâche est impossible. L’option sieste est plus salutaire pour mon organisme. J’ai surveillé avec attention mon alimentation et mon sommeil, mais mon corps est épuisé.

L’année dernière je suis arrivée dans une forme étonnante, j’avais pourtant parcouru plus de mille kilomètres. J’avais l’impression que mon corps n’avait jamais été aussi puissant. Cette année j’ai géré mon corps avec beaucoup plus d’attentions, et je lui ai accordé plus de confort, mais l’épreuve physique était plus difficile. Le contrecoup de l’arrivée est une demande de sommeil importante.
J’ai besoin de récupérer des forces physiques.

Je profite tout de même de cette attente pour faire une visite passionnante des toits de la basilique. Mon guide, je suis un groupe à moi toute seule, s’assure que je maîtrise le Castillan avant de se lancer avec passion dans une description historique de Santiago. C’est un Espagnol fier de sa patrie. Il communique son enthousiasme et répond avec sincérité à mes questions.
Un pur moment de bonheur. D’ailleurs nous nous séparons en nous congratulant mutuellement.
Je flâne dans cette ville que je prends le temps de découvrir.

29 Mai

29 ème Etape : Laxe-Puente Ulla 28 Km

Je démarre dans un petit matin triste et brumeux qui se transforme en pluie fine.
L’ambiance est surréaliste, la forêt disparaît dans le brouillard qui me dévoile parfois un paysage verdoyant. Le sentier est transformé en terrain boueux. Mes chaussures sont munies d’un solide relief, mais je souhaite ne pas faire de glissade. Ce n’est pas le moment de se blesser.

C’est dimanche aujourd’hui, j’avance lentement. J’arrive à Dornelas, c’est le marché, les étales s’étendent le long de la rue principale.
Une « panaderia » de rêve comble mon estomac affamé. Je déguste une « empenada » et le « café con leche » que j’ai commandé. La serveuse m’offre une pâtisserie et un jus de fruit pour agrémenter mon repas. Cette attention me fait chaud au cœur et je repars d’un pas plus léger.

Le Camino suit une petite route sinueuse. Le son que produit le macadam sous mes pieds me tient compagnie. Une cloche sonne au loin. Elle continue de sonner régulièrement et je fini par m’en rapprocher. Dans le village de Carballeida des hommes sont assemblés devant l’église qui est ouverte, il est 13 heures et je suis agréablement surprise de trouver l’église ouverte.
Une charmante douairière m’invite à entrer, m’expliquant qu’aujourd’hui c’est la fête de corpus Christi dans le village. Une cérémonie spéciale rassemble la communauté, clairsemée, pour renouveler la présence du christ dans l’église grâce à une procession.

Je dépose mon sac à dos, récupère un pull propre et me débarbouille dans la fontaine toute proche. Je n’ai pas compris grand chose au discours enflammé du prêtre. Mais il me semble qu’il tentait de réveiller ses ouailles. Les hommes se sont fait tirer l’oreille pour participer plus activement à la vie de la communauté religieuse. La gente dame qui m’a accueillie m’explique, dans un français des plus authentiques, qu’elle a vécu dans ce charmant pays plusieurs années et regrette la compagnie de ses habitants. Elle m’accompagne un bout de chemin, ravie de renouer le contact avec la langue française. En la quittant je lui offre le pins d’une « flécha amarilla » (flèche jaune) que je porte sur mon chapeau depuis Caceres.


Quelques kilomètres plus loin je croise et recroise un pèlerin bien particulier.
Il circule à vélo et met à jour un guide. Il vérifie avec attention les indications et cherche de nouvelles adresses pour se loger et se nourrir. Il sort donc souvent du Camino pour trouver les bonnes adresses qui ont poussées le long du chemin.

Je découvre, au détour de la voie romaine pavée, un pont splendide. Malgré la pluie qui tombe je fais une halte pour apprécier chaque détail architectural. Un gros caillou flanqué d’une inscription en latin abrite mon sac à dos le temps d’explorer le pont sous toutes ses coutures.

Le temps s’est éclairci et je reprends du plaisir à contempler le paysage. Je m’arrête avaler un café à Seixo. Les « piliers de café » sont engagés dans une partie de carte animée.
Je consulte mes notes, la prochaine albergue est à 8 km dont 3 en descente. Je fais lentement les 2 kilomètres qui me séparent du Sanctuario de Gunian. J’y retrouve un couple d’allemands et je pique nique à 3 heures de l’après midi.


Une pension accueillante me fait de l’œil à l’entrée de Puente Ulla. L’hôtelière me signale que l’albergue ne se trouve qu’à 4 km. Mais décidément l’option bonne bière et repos est trop séduisante et j’arrête là ma pérégrination du jour.

28 Mai

28 ème Etape : Monastère d’Oseira-Laxe 30 Km

Le petit déjeuner est royal. Le père José Louis avec exprime son contentement de me voir partir en compagnie des deux jeunes femmes. Il me glisse une carte de visite dans la main au cas où j’aurais besoin !

Mes compagnes de route ont un rythme soutenu, en montée pas de problèmes, mais les descentes sont toujours aussi délicates. La pluie parfois menaçante, reste à distance et le paysage rural se déroule devant nous. Un habitant nous propose de boire un café, mais mes compagnes déclinent l’offre. Nous trouvons un coin à pique nique avec une vue imprenable. Décidément mon corps n’accepte pas le rythme que je lui impose. Je décroche et laisse les deux pèlerines à grande vitesse (PGV) rejoindre l’albergue de Laxe à larges enjambées.

Je retrouve mon pas tranquille. Je croise un paysan occupé à labourer ses champs avec son cheval et sa charrue. Les villages sont pauvres. Bien sur, certains doivent posséder des tracteurs, mais pour celui-ci, le seul moyen de travailler la terre, reste son cheval. Un jeune homme lui prête main forte. Cette scène pleine de nostalgie me rappelle que la vie de certains fermiers n’a pas évolué depuis 50 ans. Elle est rude quand la relève n’est pas assurée. Les jeunes souhaitent des conditions de vie meilleure et choisissent des métiers qui les amènent à vivre en ville.

Plus loin je croise deux vieilles dames qui traversent leur village. L’une d’elles tient dans ses mains une clé monumentale. Je leur demande si elle correspond à la clé de l’église. Elles m’ouvrent avec la porte de l’édifice. Entourée par leur prévenance envahissante, je ne trouve pas une seconde de tranquillité pour prier. Elles sont si heureuses de bavarder !
Pour répondre à mon besoin d’eau fraîche elle m’ouvre la porte de leur maison pour m’offrir l’eau de la source qui coule chez elles. Je me sens comme un rayon de soleil qui illumine leur vie un bref instant. Elles me donnent l’eau, je leur échange contre un bout de mon soleil personnel.
Je repars avec une énergie renouvelée.

J’arrive à Laxe dans une albergue sophistiquée qui offre un grand confort. L’accueillant est un jeune garçon qui joue au foot avec ses amis. Il interrompt immédiatement la partie pour m’escorter avec un grand sourire. Le ravitaillement est par contre difficile, aucun magasin à l’horizon. Un restaurant sur la route offre à 2km un repas au chaud fort appétissant. Je le partage avec Suzanne et Marguerite.

27 Mai


Monastère d’Oseira

Levée tôt, je participe à la messe chantée.
La vie monastique est réglée par les différents offices. Avant l’aube, les moines entament leur journée de prière. Elle se poursuit tout au long de la journée et ne leur laisse que peu de temps pour effectuer une autre activité. Ils participent à la vie du monastère aidés en cela par des habitants qui veillent à l’entretien des bâtiments, le ravitaillement, la cuisine, le travail des champs.


Au cours de mes nombreuses pérégrinations dans le monastère, j’ai vu un moine à genoux en train de désherber à la main entre les dalles de pierre. Une tache ardue pour un homme âgé. Le jardinier est venu lui donner quelques conseils et lui offrir son service.
Une lecture récente est venue éclairer cette scène. L’auteur expliquait que loin d’être une corvée, le nettoyage des sols, carreau par carreau, pouvait être une forme de méditation. Le travail répétitif et quelque peut pénible libère l’esprit. Au moine de choisir la direction de sa méditation.



Une de leurs tâches consiste à guider des groupes lorsque le guide mis en place à cet effet est submergé. Des cars d’enfants sont arrivés pour une visite dans le cadre de leurs activités scolaires. Certains moines parmi les plus jeunes les escortent avec un plaisir non dissimulé. L’interaction entre les enfants et ces hommes cloîtrés entre quatre murs est un bonheur.
Une émulation commune se crée. Les questions fusent. Les réponses adaptées à un jeune auditoire déclenchent parfois une cascade de rires. Un monastère c’est décidément un lieu de grande joie.

Les moines se chargent également de la partie blanchisserie. Défaire les lits des visiteurs et laver les draps est une tâche qui leur incombe. Ils ont à cet effet des machines adaptées à leur besoin. La laverie peut faire envie à la ménagère du troisième millénaire. Les moines ne vont pas au lavoir du village quotidiennement, ils utilisent avec bonheur les facilités que la modernité leur apporte. L’informatique et la communication grâce à Internet n’ont pas de secrets pour eux. La robe de bure est toujours d’actualité, mais que l’on ne si trompe pas, le monde extérieur et son évolution technologique rapide sont ici maniés de mains de maître. L’équilibre entre tradition et modernité semble parfait.

L’harmonie règne en ce lieu. La sérénité et la paix suintent des pores de la pierre. Elles imprègnent l’atmosphère et rayonnent à travers moi. L’architecture cistercienne dans sa sobriété et son équilibre parle à mon âme.

Je partage mon repas de midi avec un jeune Espagnol. Parti de Ourense pour pèleriner jusqu’à Santiago, il s’est arrêté dans ce monastère et n’a pas poussé plus loin son pèlerinage. La vie monastique l’a instantanément séduit. Il est retourné à sa vie professionnelle pour quelques temps et a profité du premier moment disponible pour revenir en ce lieu. Sa jeune existence est toute imprégnée de la magnificence de la vie monastique qui lui semble si séduisante.
Pourtant une vie bien construite l’attend. Fils d’un orfèvre reconnu, il a étudié dans ce domaine et s’apprête à rejoindre l’affaire familiale. La lumière de cette vie simple consacrée à Dieu, sans artifice et régénératrice l’appelle. Le modèle qui s’offre à ses yeux éblouis est si séduisant, qu’il est prêt à quitter dans la seconde sa vie d’entant pour embrasser la robe de bure. Il a soif de communiquer sa passion, sa résolution. Mais il est inquiet car sa vision ne colle pas avec les espérances parentales. Il cherche un réconfort que je ne peux lui apporter.

Mais parler lui fait du bien. Je lui souhaite la concrétisation de son meilleur chemin de vie et l’invite à procéder par étape pour vérifier sa vocation.

Une autre rencontre marque ma journée. Juste avant les vêpres, deux pèlerines se joignent à la communauté. Suzanne, autrichienne et Marguerite, allemande partagent le Camino depuis quelques temps. Arrivées tôt dans l’après midi à Cea, elles ont fait appel à la policia touristica pour téléphoner au monastère d’Oseira afin de s’assurer un abri pour la nuit. Elles ont poursuivi leur chemin jusqu’ici. En arrivant, les moines leur ont bien expliqué qu’ils ne sont pas une albergue et les ont conduites dans un grand hall froid et ouvert aux courants d’air pour qu’elles installent leur bivouac.
Ceci fait, elles ont assisté avec recueillement aux vêpres chantées. Le père José Louis leur a ensuite offert un délicieux repas ainsi qu’une chambre confortable, elles n’en revenaient pas.


26 Mai

27 ème Etape : Cea-Monastère d’Oseira 10 Km

Je suis encore endormie quand les Australiens descendent prendre leur petit déjeuner dans la cuisine.
Je ne m’attarde pas dans l’albergue. Je suis les flèches dans le village et passe devant la poste.
Une flopée de postiers s’agite dans ce petit local. J’expose ma requête et avec diligence la préposée me remet mon colis. Fantastique ! Je suis maintenant pourvue d’un stock de crème miraculeuse pour bichonner mes pieds.

La brume du matin se lève et dévoile le sentier qui serpente entre les champs.
Le Camino est superbe. La Galice est verte, elle se pare des couleurs du printemps. L’eau déborde des ruisseaux et se faufile entre les pierres. Je profite des murets pour contourner les flaques.
La nature est enchantée. Les grenouilles mêlent leurs croassements aux gazouillis des oiseaux.
Dans ce lieu préservé, je me sens encore une fois en communion avec les pèlerins d’autrefois.
Je m’arrête fréquemment pour déguster cette atmosphère.

J’arrive à 11 heures en vue du monastère d’Oseira. Je fais une halte au café du coin pour boire un « café con leche ». Les Hollandais m’ont vu arriver, ils me proposent de me joindre à eux pour une visite du monastère.
Je suis éblouie par l’ambiance qui règne dans ce lieu.
L’accueil des moines est chaleureux. Pendant la visite un jeune moine nous offre des peintures qu’il a effectuées à l’attention des pèlerins. Je discute en français avec l’un d’eux.

Une idée s’impose à moi. Je souhaite rester dans ce lieu. Avec gentillesse il m’explique que ce n’est pas un albergue. Ils reçoivent des retraitants, mais contre monnaie sonnante et trébuchante. De plus il faut obtenir l’approbation du père économe. Je rencontre celui-ci quelques instants plus tard.
Le père José Louis est l’image de la bonté et de la jovialité. Je peux sentir le poids des responsabilités qui pèsent sur ses épaules, la fatigue est inscrite dans son corps. Mais son visage est souriant et ses yeux pétillent de malice. Il m’invite à le suivre.
Je découvre la partie privative du cloître. Il m’installe dans une chambre superbe. Non seulement j’ai une chambre, mais aussi une salle de bain et un bureau avec un balcon. Il me précise bien que je peux étendre mon linge au soleil.
Un repas simple mais copieux m’attend à midi dans la salle à manger. Malheureusement, les moines ne le partagent pas avec moi. Mais le père José Louis réapparaît pour s’assurer que tout va bien. Une fois encore je me retrouve adoptée. Il ébouriffe affectueusement ma chevelure désordonnée tout en me complimentant sur la profondeur de mon regard bleu.

Je me sens en sécurité, je vais pouvoir faire une pause.


Le monastère est composé de trois cloîtres accolés. Au milieu de chacun coule une fontaine.
L’église paroissiale communique avec l’ensemble. La chapelle privative des moines accueille le culte quotidien.
Je retrouve les deux écossais qui vont également rester pour la nuit. D’autres pèlerins nous rejoignent : une Anglaise, trois Allemands et un couple d’Autrichiens.

25 Mai

26 ème Etape : Ourense-Cea 19 Km

Evonne m’escorte un bout de chemin.
Nous partageons un petit déjeuner composé de « Chocolate con churros ». Elle me quitte à la hauteur de la gare ferroviaire.

J’ai choisi l’itinéraire le plus difficile car je suis à nouveau seule et je souhaite distraire mon esprit de cette solitude par la difficulté de la marche. Un passage sous un pont s’avère délicat. Le guide suggère fortement de passer l’obstacle rapidement. Les automobilistes ont l’habitude de prendre de la vitesse dans la descente et s’engouffrent sous ce pont à une allure folle. Je hâte le pas.
Ensuite j’affronte une heure de montée raide. Je lutte pour persuader mon corps résistant de mettre un pied devant l’autre sur une route qui n’en finit pas de monter. Ma stratégie, ne pas s’arrêter. En haut de la cote, un banc adossé à une maison, m’offre son ombre rafraîchissante. Pas un pèlerin à l’horizon.

La suite est un vrai bonheur : des sous bois superbes, des clairières lumineuses, des champs fleuris.
La Galice dans toute sa splendeur.
A midi je trouve un bar ou la tenancière me prépare une tortilla délicieuse. Les habitués qui viennent boire leur bière s’enquièrent de mes origines et sont étonnés de me voir cheminer seule. Ils me souhaitent un « Buen Camino » en m’expliquant que je ne suis plus très loin du but.

En ressortant je suis surprise par la chaleur, l’air est brûlant, même à l’ombre. Je trouve un coin abrité du soleil pour attendre que la température soit plus clémente. Au programme : sieste, lecture (j’ai emporté le nouveau testament), écriture, méditation, contemplation (le coin que je me suis dégotté est magnifique).
Un chêne m’abrite du soleil. Les graminées ondulent paresseusement au gré d’une brise que je ne sens pas. La forêt verdoyante qui entoure les champs dégage une odeur de résine.
La terre est silencieuse écrasée par le soleil.

En fin d’après midi j’avale rapidement les cinq derniers kilomètres. Le village de Céa m’apparaît austère. Je me précipite à la poste pour récupérer la crème miraculeuse pour les pieds, que le père d’Evonne nous a envoyé en poste restante. Evonne prévoyante m’a fait une photocopie de sa carte d’identité. Malheureusement les horaires d’ouverture se réduisent à deux heures par jour : de 10 h à 12 h. Le dilemme est grand : vais-je attendre 10h00 demain pour récupérer la crème ?

Le refuge est installé dans un ancien monastère rénové. Je retrouve les Australiens et des hollandais qui s’enquièrent de ma santé. Il est réconfortant de savoir que les pèlerins autour de moi sont attentifs à mon bien être et s’assurent que tout va bien.
Ce soir, le dortoir est masculin, je suis entourée d’une trentaine de mâles.
Les sanitaires féminins me sont donc réservés. Enfin c’est ce que je pensais. Car à ma grande surprise je me retrouve en sortant de la douche face à un espagnol qui ne doit pas savoir lire sa propre langue.

L’hospitaléro m’alpague à la sortie des sanitaires. Je lui demande poliment quelques instants pour passer une tenue plus présentable. Mais non ! Il ne peut différer d’un instant l’inscription sur le registre des admissions. C’est donc dans une tenue légère, entourée d’une dizaine d’espagnols braillards que je subis son interrogatoire. Il est ravi de son importance. Ce rustre utilise sa position pour montrer à ses compatriotes son pouvoir. Je suis extrêmement mal à l’aise.

Le groupe d’espagnols en question chemine à pieds sans sacs à dos, ils sont suivis par un van qui leur assure le transport, le manger et le boire. C’est ce même camion que j’ai aperçu plusieurs fois sur le Camino. Il a été la cause de ma seule peur sur le chemin.
J’étais seule sur le trajet jusqu’à Ourense et pas rassurée de croiser continuellement le même véhicule, à chaque intersection avec une route importante, il était là.
Un sentiment désagréable d’insécurité m’avait envahit. Heureusement mon étape à la capilla Santa Agueda m’avait permis de retrouver ma sérénité. Donc ce groupe d’une dizaine d’espagnols sillonne le Camino et utilise les refuges pour pèlerins. Dans l’immédiat cela ne me gène pas, mais il faut savoir que ce soir il ne reste que très peu de places disponibles dans l’albergue.
A chacun son chemin, mais le respect me semble essentiel.

Je visite le village.
Peter hilare me raconte qu’il est allé laver son pantalon dans le lavoir du village. Il est extatique d’avoir pu renouer avec une tradition ancestrale.
Un match de foot est retransmis à la télévision dans l’un des bars, je partage avec des écossais et l’équipe des Australiens une bière. L’ambiance est survoltée, la gente masculine rassemblée participe activement à chaque action grâce à des commentaires qui me dépassent. Le foot, ce n’est pas ma tasse de thé.

Dans la cuisine de l’albergue les Hollandais préparent à manger. Ils insistent pour que je partage avec eux ce repas. Ils font un réel effort pour que je me sente en confiance.
Jusqu’à la tombée de la nuit je discute avec les Ecossais. David a un humour décapant.

Ils sont très amusés de mon ingéniosité. Arrivée bonne dernière, j’ai fait ma lessive quotidienne. Malheureusement l’étendage de fils à linge est surchargé. J’ai donc récupéré dans mon sac ma suspente de parapente, et je me suis confectionnée un bel étendoir. Cela les a fait beaucoup fait rire de voir la petite française perchée sur un seau pour atteindre le haut du poteau.

Je m’installe pour la nuit. Je parfume d’essence d’eucalyptus mon chèche, je mets mes boules quies dans les oreilles. Mais pour mon infortune mon plus proche compagnon de nuitée ronfle tellement puissamment qu’il fait vibrer l’air ambiant. Ni une, ni deux. J’attrape mon carré mat et je descends m’installer dans un coin de la cuisine. Ce n’est pas aussi confortable qu’un lit, mais quel calme !
J’avoue avoir ressenti une pression masculine trop lourde autour de moi dans ce dortoir uniquement masculin.

24 Mai

25 ème Etape : Xunquerria de Ambia-Ourense 20 Km

Ce matin je suis seule pour marcher. Pas longtemps !
Les Australiens sont partis en désordre.
Tony emprunte la voie directe qui sort directement du village.
Je trouve Mike et Peter de l’autre coté du village qui se chamaillent gentiment. Ils ne sont pas d’accord sur la direction à prendre. Je les double, ils me redoublent. Nous échangeons des sourires et salutations. Mike bifurque pour vérifier l’itinéraire, Peter attend patiemment.

Je continue mon chemin ; enfin, ma route. Aujourd’hui, c’est macadam à tous les étages !
Tony qui était devant tout à l’heure me rattrape et me double. Bizarre.
Je le vois s’arrêter dans un bar plus loin.
Peter et Mike me redoublent.
Je les retrouve quelques kilomètres plus loin au bar du coin. Toujours le sourire aux lèvres. Course-poursuite involontaire, mais je l’avoue, je me sens rassurée de les savoir sur le chemin en même temps que moi.

La traversée d’une grande zone industrielle est un calvaire pour le moral. Fumées d’usine, gros camions, bruits, toutes les conditions sont réunies pour dégoûter un pèlerin de revenir à la civilisation. J’accueille la sortie de cette zone avec enthousiasme.

J’ai faim, mon estomac me signifie très clairement qu’une pause est nécessaire. Je grimpe jusqu’à la Capilla Santa Agueda en enjambant des balustrades. La chapelle vient d’être restaurée, mais déjà les herbes folles ont envahi la place. Les deux fontaines sont à secs, ce qui dans le cas présent est un problème car je n’ai plus d’eau. Mais la vue sur Ourense est somptueuse.
Un banc installé sous un auvent m’invite à m’allonger pour une sieste courte mais régénératrice.

Il fait chaud, les rues de Seixalbo sont baignées de soleil. La descente dans cette fournaise jusqu'à Ourense est pénible. Je cherche l’ombre et la cathédrale. Je sais que l’albergue se trouve au-dessus de la cathédrale. Grâce à l’aide précieuse de quelques habitants, je trouve rapidement la bonne direction.
J’émerge d’un escalier qui monte, monte pour apercevoir un homme qui me fait des signes de l’autre coté de la rue. Je suis l’itinéraire qu’il m’indique avec des gestes frénétiques. L’albergue est bien là. L’accueillant guettait mon arrivée. Son épouse et lui-même m’attendaient afin de fermer les portes de l’albergue. Sans le savoir j’ai dépassé l’horaire de fermeture, alors ils ont patienté pour que je ne me retrouve pas à la porte.

Ils prennent le temps de m’escorter jusqu’à mon lit ou m’attend sagement mon sac à dos.
La fraîcheur du lieu et la gentillesse de ce couple me réconfortent.
Ils me font partager leur enthousiasme pour leur mission. Ces quelques jours passés à accueillir des pèlerins sont un grand bonheur. Ils sont heureux et fiers de ce qu’ils ont vécus. La réhabilitation d’une partie du couvent San Francisco est une réussite architecturale.

Après une douche bien méritée, je profite de ma solitude dans ce lieu pour apprécier le travail de réhabilitation effectué. Les murs de cette antique bâtisse résonnent encore des chants de ses anciens occupants. Je suis persuadée que la transformation de ce lieu en gîte pour pèlerins ne trahit pas l’esprit dans lequel il a été créé.

Evonne revient enchantée des bains. Nous découvrons la vieille ville. Les monuments sont superbes. D’un commun accord nous décidons de faire bombance ce soir. Une devanture promettant des fruits de mer nous attire. L’ambiance est feutrée, les consommateurs espagnols dégustent des tapas. Une bonne bouteille de rioja, de Marques de Caceres, accompagnée de divers tapas nous réjouit les papilles. Notre voisin de bar mange des coquillages étranges. Il nous offre une dégustation en soulignant la rareté de ce met. L’Espagne est un pays accueillant. Ces habitants sont toujours prêts à nous faire partager le meilleur de leurs coutumes.

Ce soir nous avons du mal à nous coucher tôt. Respecter le couvre feu de 10 heures est difficile. Tellement de choses restent à dire. La séparation n’est pas une chose facile.
Nous échangeons des présents pour veiller encore un peu l’une sur l’autre.

23 Mai

24 ème Etape : Villar de Barrio-Xunquerria de Ambia 14 Km

Nous nous offrons une grasse matinée jusqu’à 7 heures, suivie d’un petit déjeuner énergétique.
Le temps de faire chauffer les muscles et d’étirer les tendons et nous sommes sur la route à 8H30 !
Nous sommes heureuses de marcher à nouveau toutes les trois.

Le ciel tout d’abord incertain se dégage. La température est idéale. Les villages que nous traversons sont superbes. Aujourd’hui, c’est le cliché carte postale pour le pèlerinage.
Tout va bien et cela se lit sur nos visages radieux.
Nous marchons dans une plaine cernée par des montagnes. Le Camino s’étire tranquillement et notre pas s’adapte à cette atmosphère tranquille.

Molina, attentive veille à m’attendre quand les aboiements des chiens sont trop agressifs. Ma peur reste instinctive et profondément encrée. L’adulte que je suis devenue se retrouve toujours projetée dans son corps de petite fille quand la menace canine apparaît. J’avoue que la sensation de peur qui s’insinue en moi est désagréable. Mais mes amies chassent mes démons. Cela m’évite d’avoir à les affronter. Pour un temps j’apprécie qu’elles veillent sur moi.

Aujourd’hui notre étape est courte, 14 km nous séparent de Xunqueria de Ambia soit moins de 4 heures de marche. Je ne souhaite pas rester enfermée dans une albergue ou dans un village toute l’après midi.
Alors je scrute le paysage pour trouver un lieu de halte propice à cette atmosphère de calme et de sérénité qui caractérise cette matinée. La tâche n’est pas aisée. Nous sommes dans la plaine, les arbres se font rares et j’ai absolument besoin d’abriter ma peau des rayons solaires. Une exposition prolongée de mon épiderme pourrait déclencher une séance homard ! La couleur de ce crustacé n’a rien à envier à ma peau en cas de coup de soleil. C’est pourquoi j’utilise une crème dont je tairais l’indice, mais je vous assure que les rayons du soleil ont du mal à toucher ma carapace et dans le cas où cela s’avère inopérant, mon chèche, habilement utilisé, sert de chemise ou de robe en fonction des besoins.

Un coin magnifique se profile.
Des chênes centenaires abritent un banc installé au centre d’une chênaie.
L’herbe grasse est encore mouillée de rosée.
Une cigogne fait son nid dans un arbre solitaire plus loin sur la plaine.
Le coucou et les grillons nous offrent tout un monde musical.
Nous montons un camp dans ce site paradisiaque.

Le programme suit les envies de chacune : méditation, jeux de cartes, musique, sieste, lecture, contemplation, photo, écriture… Le temps a son rythme propre dans cette bulle de quiétude.
Nous profitons de chaque instant. Une fois encore, je savoure pleinement l’éloignement de la civilisation. Nos repères habituels sont absents et ils ne me manquent pas. La plénitude de ce moment reste gravée en moi. L’harmonie qui règne autour de nous, en nous et entre nous est aussi simple qu’une belle journée ensoleillée.

Quatre heures de temps réel se sont envolées dans le battement d’une aile de papillon.
La suite de la ballade. Eh ! Oui aujourd’hui c’est une ballade, est un enchaînement de sous bois profonds et de villages. L’ombre et la lumière qui jouent avec les feuilles composent une mosaïque de verts.
Une palette rafraîchissante de vie.

L’homme à quand même imprimé sa marque dans les sous bois. Depuis des millénaires, il délimite son droit de propriété ou d’appartenance à la terre grâce à une multitude de murets bien alignés.
Empilements patient de pierre, de génération en génération des mains ont édifié ces lignes sur la terre. Mélanges de gris, de bruns et de verts, ils perdent la bataille engagée avec la nature qui reprend ses droits. Laissés à l’abandon par les hommes, ils disparaissent sous la végétation, la vie trouve toujours son chemin. Mousses et fougères profitent de chaque interstice ou la terre nourricière s’est déposée pour étendre leur domaine.
L’albergue se situe à l’entrée de Xunqueira de Ambia sur les hauteurs. L’eau chaude fait défaut, c’est étonnant dans ce lieu dédié à la propreté et à la modernité. Mais rien n’est d’aussi revigorant qu’une douche froide quand le soleil brille et vous réchauffe de ses rayons.

Dans le village, les habitants sont en pleine activité. Une dizaine de villageois, installés devant une chapelle, effeuillent des pétales de fleurs. Ils préparent la fête de Corpus Christie. A cette occasion le village sera décoré de mosaïques créées au sol grâce aux pétales de différentes couleurs.
Un travail de longue haleine qui réclame beaucoup d’énergie et de savoir-faire. Mais c’est également l’occasion de se retrouver et de discuter. Un moment de convivialité où les anciens aiment partager leurs souvenirs.

La bibliothèque du village s’avère accueillante et c’est avec grand plaisir que je communique avec mes amis via internet. Ce lien, qui permet de conserver une adresse quel que soit l’endroit où l’on se trouve, est une bénédiction. Les messages reçus ou envoyés sont revigorants.

Le dîner nous trouve en compagnie de pèlerins australiens : Peter, Mike et Tony. Trois frères dont la joyeuse humeur est communicative. A eux trois ils totalisent un âge vénérable autour de 200 ans. Je ne sais si leur sagesse est à la hauteur du nombre de leurs années, mais leur sens de l’humour est rafraîchissant. L’allure svelte, les yeux pétillants, le sourire accroché aux lèvres et avec un accent à couper au couteau, ils nous racontent des histoires de voyage étonnantes.
Nous avons besoin de cette ambiance légère. Demain les filles vont prendre les bus jusqu’à Ourense. Molina attrapera son train pour Amsterdam à 13 h. Je rejoindrai Evonne à l’albergue pour profiter d’une dernière soirée ensemble. Elle repartira après demain en train.

22 Mai

23 ème Etape : Laza-Villar de Barrio 21 Km

Molina ne peut pas marcher, nous la laissons à l’albergue, elle prendra un taxi avec nos trois sacs à dos.
Nous tentons de passer entre les gouttes sans succès. La fonction de « passe goutte » n’est toujours pas intégrée dans nos capacités de pèlerine.
Nous quittons le macadam pour trouver une route de terre au milieu d’une large vallée.
Les flèches jaunes se font rares. Deux silhouettes se détachent devant nous.
Evonne accélère le pas pour les rattraper et s’assurer que nous sommes toujours sur le Camino.

Deux charmants ancêtres font leur promenade dominicale. Ils font un bout de route avec nous.
La discussion est animée, portée sur l’exode des jeunes et les difficultés pour les personnes âgées qui souhaitent rester dans leur maison. Nous sommes tous heureux de cette rencontre, les yeux pétillants de jeunesse de nos interlocuteurs sont une leçon de vie.
Ils aiment leur région, ils en parlent avec passion. Leur vie a été rude mais heureuse. Ils sont contents de se retrouver au café pour une partie de carte ou de domino. Ils refont une nouvelle fois le monde à travers leurs commentaires sur les dernières nouvelles lues dans les pages du journal et chaque dimanche ils se promènent ensemble. Le temps ne s’écoule plus pour eux, les jours ressemblent aux jours, seule la saison est différente. Aujourd’hui, il faut un parapluie et des bottes, demain un bonnet et un gros manteau.

Dans le village suivant un autre visage retient notre attention. Le visage de cet homme est marqué par une vie rude passée en contact avec la nature. Nous ne comprenons pas ses salutations, mais je suis sûre qu’il s’agissait d’une parole d’encouragement ou de bénédiction.

La montée est rude, le sentier glissant, je suis contente de ne pas porter mon sac.
Arrivées au sommet de la colline une trouée dans les nuages nous dévoile la vallée que nous venons de parcourir. C’est avec un vif plaisir que je mesure le chemin parcouru depuis ce matin. La pluie fine se remet à tomber.

Une halte au sec serait la bienvenue et justement, à Alberguia, le bar Rincon de Preregrinos est ouvert. Un feu crépite dans la cheminée. Le décor est surréaliste. Des coquilles Saint Jacques sont accrochées sur chaque parcelle disponible de mur ou de poutre. Des outils et des photos anciennes complètent la scène.
Evonne commande du chorizo et du pain pendant que je m’installe devant l’âtre.
La chaleur du feu nous réchauffe. L’ambiance est paisible, l’odeur de la fumée rappelle des souvenirs de feux de camps. Grâce à une pique, Evonne nous fait du pain grillé et du chorizo rôti. Un pur délice. Nous ne sacrifions pas au rite qui consiste à écrire un message sur une coquille et à l’accrocher. Je ne souhaite pas laisser de traces de mon passage.

La montée entre des murets de pierres bien conservés est magnifique. Mes jambes impatientes augmentent le rythme. Evonne étonnée me demande d’où vient cette nouvelle énergie. Peut être le morceau de musique classique écouté à la cantina, je me sens en pleine forme.
La descente est nettement moins drôle, les genoux ne sont pas contents et la douleur qui apparaît est significative.

Nous arrivons enfin à 13H30 à Villar de Barrio.
Nous cherchons Molina dans le premier bar rencontré, mais c’est Hans que nous trouvons attablé. Nous lui souhaitons un bon chemin, il poursuit sa route.
Molina nous trouve sur la place du village.
L’albergue est moderne, propre et accueillante. Nous sommes un peu perdues toutes les trois dans ce grand bâtiment.
Une sieste, des étirements et une saine méditation me redonnent de l’énergie.
J’en profite pour aller me laver. Dans les douches, je suis intriguée par un morceau de papier collé sur une partie de la fenêtre qui donne sur l’arrière du bâtiment. Molina éclaire ma lanterne.
Un habitant libidineux est posté devant la bibliothèque, qui surplombe l’albergue, il a une vue parfaite de ce qui se passe dans les douches des femmes.
Eh! Oui, même sur le chemin, les travers humains nous rattrapent.

21 Mai

22 ème Etape : Campobecerros-Laza 11 Km

Aujourd’hui le temps est maussade, le brouillard est épais. Nous prenons le petit déjeuner au bar de l’hôtel. Quelques cerises dégustées avec le café remontent le moral. Ce matin il me faut convaincre mon cerveau que, malgré la pluie qui commence à tomber, je vais sortir pour continuer le Camino. Mon corps a gardé inscrit dans sa fibre le froid et l’inconfort des journées de pluies précédentes.
Il renâcle devant la promesse d’une journée froide, brumeuse et désolante. Mais fort heureusement, mon esprit, définitivement optimiste, se demande s’il est vraiment nécessaire d’enfiler le poncho immédiatement.

Ce qui est intéressant dans mon organisme c’est qu’une fois que j’ai enclenché la marche avant, les muscles chauffent, le corps se décontracte, la machine est lancée. Et, à moins de douleurs trop marquées dans les genoux, il poursuit vaillamment son chemin jusqu’à l’objectif fixé par ma tête.

Le brouillard joue à cache cache et nous dévoile des paysages magnifiques. Le Camino est facile à suivre nous sommes sur une route sinueuse très peu fréquentée. Parfois nous empruntons une piste forestière. Une légère bruine tombe par intermittence, habillage, déshabillage.
C’est un exercice de style que nous arrivons à réaliser sans même nous arrêter : enlever une manche, dégager la bretelle du sac à dos d’un geste précis pour faire glisser le vêtement de pluie, réajuster le sac et recommencer l’opération sur l’autre coté. Puis ajuster à sa taille le vêtement qui sera à réutiliser dans quelques kilomètres.

Evonne, toujours assoiffée d’espace, marche devant nous tout en étant restant vigilante pour ne pas nous perdre dans le brouillard. Le temps n’est pas propice aux haltes, nous grignotons en marchant. Molina à encore mal à son genou.

Etonnamment, cette matinée est un enchantement. La nature est superbe. L’odeur est extraordinaire, l’air saturé d’humidité embaume la résine des sapins. Ces géants nous dominent de toute leur taille.
A tout instant, je m’attends à voir traverser une biche ou un cerf. La nappe de brouillard enrobe la nature d’une atmosphère magique. Cette matinée est propice à l’écoute. Mon champ visuel est réduit et je suis plus attentive aux odeurs et aux bruits de la forêt ou du torrent qui coule en contrebas.
Je me sens plus proche des lointains pèlerins qui parcouraient la Via Plata pour aller voir Saint Jacques. Mon esprit vagabonde en compagnie des marcheurs d’un autre temps.
Je mets mes pas dans les leurs.
Nous redescendons des collines pour aborder une vaste plaine. Le soleil resplendit à nouveau. Nous arrivons à Laza à 12h30.

Le fléchage de l’albergue est impeccable. Nous trouvons rapidement la Protection Civile.
Un charmant secouriste nous embarque dans un 4x4 avec nos sacs à dos pour nous emmener à destination.
Nous découvrons une albergue flambant neuve.
Ouverte sur l’extérieur, aérée, confortable, avec une cuisine digne d’un grand chef et un dortoir rien que pour nous. C’est Byzance !
Sur les conseils avisés de notre guide nous retournons dans le village faire quelques emplettes avant la fermeture des magasins.

L’après midi est un délice de farniente. Le soleil réchauffe nos corps alanguis sur la terrasse.
Cette pause est la bienvenue, la fatigue accumulée s’efface. La préparation du repas est suivie d’une sieste. L’après midi s’écoule au rythme d’une grande lessive, de franches rigolades, d’écriture, de discussions amicales, de massages. Cette pause est une bénédiction pour le corps et l’esprit. J’apprécie pleinement la présence de mes amies.

Quelques pèlerins profitent également de ce havre de paix.
Un français d’origine basque surexcité m’entreprend en français. Je suis inconfortable dans ma propre langue. A plusieurs reprises le cas s’est présenté. Je rencontre des français et j’ai beau leur expliquer que mes amis ne parlent pas français, ils n’ont jamais la courtoisie d’utiliser le langage qui nous est commun : l’Anglais. Ils ignorent tout simplement mes compagnons de voyage, ne s’adressant qu’à moi. Je suis intolérante, je n’arrive pas à l’accepter, leur grossièreté me fait mal. J’aimerais être fière de présenter des compatriotes à mes compagnons de chemin et partager avec eux des émotions de pèlerinage. Mais je n’arrive pas à accepter que mes amis en soient exclus. J’ai la capacité de traduire dans le cas ou l’Anglais ne serait pas un point fort chez mon interlocuteur, mais l’opportunité ne m’en est pas donnée. Est-ce une qualité qui nous fait défaut, nous un peuple d’accueil depuis des décennies ? C’est un problème que j’ai rencontré lors de mon premier Camino et je ne suis toujours pas arrivée à le résoudre. Cela provoque en moi une réaction d’exaspération que je n’arrive pas à surmonter. Alors je ne parle pas français et je m’écarte volontairement de mes compatriotes. J’ai même parfois un comportement qui n’est pas toujours aussi cordial qu’il devrait l’être.

20 Mai

21 ème Etape : A Gudina-Campobecerros 20 Km

Ce matin le package est rapidement fait, nous avons hâte de quitter cet endroit.
Nous suivons une ligne de crête, la vue est magnifique. Notre regard s’étend à perte de vue.
C’est une région agricole, les prairies succèdent aux champs labourés. La route que nous empruntons est peu fréquentée. Les villages, isolés les uns des autres, affichent une pauvreté et un abandon certains.
Nous discutons avec animation des conditions de vie difficile pour les quelques personnes âgées qui vivent encore ici. Les jeunes sont partis à la ville pour trouver du travail et une vie moins rude.
A notre plus grande surprise, à Venda de Capela, nous découvrons une gare.
C’est réellement incongru dans ce paysage magnifique, mais qui semble abandonné des hommes.

Plus loin, dans le village de Venda Bolano, l’eau de la fontaine rafraîchissante nous attire pour une halte réparatrice. Une grand-mère vient vers nous. Elle nous raconte sa vie et son village. Ils sont à présent seulement cinq habitants dans le village. Son fils s’occupe de la propriété, ils ont un troupeau de chèvres et de moutons. Tous les habitants sont partis, elle est donc ravie que le Camino passe par-là. Elle guette les pèlerins pour partager un bout de conversation. Sa mobilité est réduite par le poids des ans, mais son œil est luisant de contentement.
Grâce à Molina, elle va vivre un grand moment.
Molina souhaite une photo de nous trois sur le bord de la fontaine et notre interlocutrice est chargée de faire la photo. Elle nous explique qu’elle n’a jamais pris de photo. C’est avec beaucoup de fierté qu’elle endosse cette responsabilité, écoutant avec application les instructions qui lui sont données. Sur combien de pellicules sont visage façonné par l’age apparaît-il ?
Les pèlerins du nouvel age capturent le Camino à travers l’objectif de leur appareil photo.
Molina lui a offert un moment unique.
Enfin c’est elle qui maîtrise cet objet chargé d’une certaine magie.
Que lui restera t-il de cet instant fugace ?
A plusieurs reprises sur le Camino, j’ai eu le sentiment que mes rencontres animaient le quotidien de mes interlocuteurs. A cet instant, je sais que nous serons le sujet de conversation ce soir autour de la table du dîner. En fait pas exactement, car des pèlerins, elle en a vu passer. Elle n’est certainement pas étonnée de voir trois pèlerines de nationalités différentes marcher ensemble.
Mais s’être vu confier la responsabilité de prendre une photographie, voilà un événement !
Je garde une grande tendresse pour cette dame qui ne nous a pas laissées partir avant de nous avoir bénies.

Le paysage à la sortie du village est somptueux. Nos estomacs crient famine. La cigale n’étant pas notre voisine, nous sortons un pique nique royal de nos sacs. Ce matin nous avons chargé quelques denrées supplémentaires dans l’espoir d’en faire bénéficier Hans. Il débouche au détour du chemin de façon très opportune, mais malgré nos différentes techniques d’approche, impossible de lui faire partager un œuf dur avec nous.
Il repart content d’avoir croisé notre chemin, mais l’estomac vide. Evonne vient de m’enseigner une leçon de vie. Son tact et sa gentillesse, contrairement à mon insistance, ont permis à notre ami de poursuivre sa route telle qu’il l’entendait.
L’ingérence dans la vie des autres, même si elle est pavée de bonnes intentions, est souvent inopportune.

Le soleil projette ses rayons de toute sa puissance. Je m’abrite derrière mon chèche, ma peau n’est pas suffisamment burinée pour résister à ses assauts.
Mes compagnes, au contraire, boivent le soleil par tous les pores de leur peau. Maintenant, je saisis mieux l’envie inconditionnelle de soleil, de nos voisins européens qui ne bénéficient pas du même ensoleillement que nous. Je suis fascinée par la joie qu’elles éprouvent à se dorer la pilule !
J’échange avec Evonne de la musique. Pendant qu’elle savoure quelques notes de Luar Na Lubre, je découvre Loorena Mc kennit. Un délice pour les oreilles.
Molina contemple le paysage qui s’étale à nos pieds.
Chacune, absorbée dans sa vision intérieure, vit un pur moment de bonheur.

Il faut bien reprendre le Camino, mais nous quittons cet endroit avec regret. La ligne de crête nous dévoile bientôt un immense lac d’eau douce. Spectaculaire, magnifique, le bleu profond contraste avec le vert tendre des prairies.
Le printemps nous offre toute une palette de couleurs, les fleurs sauvages débordent de vie, leurs teintes sont intenses.

Une dernière descente et nous sommes à Campobecerros. Evonne galope comme une chèvre, nous sommes beaucoup plus modérées. Le genou de Molina est douloureux et mes genoux n’aiment décidément pas les descentes.

A l’entrée du village, nous découvrons l’église. Saint Jacques veille au-dessus de la porte.
Les ruelles serpentent jusqu’à notre hôtel.
Comme précisé la veille ils n’ont pas de chambre à 3 lits.
Hans me propose de partager la sienne pour la nuit.
En fait, je cède mon lit à un hollandais arrivé tardivement. Il ne reste plus de chambre et le prochain village est encore à 4 km. Mon carré mat fera l’affaire pour cette nuit, je dormirais par terre.

Avant la tombée du jour, le village s’anime.
J’assiste au défilé des vaches, chèvres, brebis qui retournent à leur pâture.
Les chiens s’affairent à leur tâche : faire avancer les récalcitrantes.
Les propriétaires se retrouvent et échangent les nouvelles. Le joyeux tintamarre avance dans une folle sarabande. Après cet épisode de vie intense, le village retourne à son état de somnolence.

Dans ces ruelles étroites et silencieuses un bruit de voix attire mon attention. Un camion arrêté au milieu du village bloque le passage. Les portes arrière sont largement ouvertes, les ménagères du coin font leurs emplettes. Yaourts, fruits, charcuterie, lessive, tout est là pour satisfaire la clientèle.
Je m’approche aussi discrètement que possible, mais voilà, je suis une pèlerine. Tout le monde me cède sa place et me voilà au premier rang. J’utilise mon plus bel accent espagnol pour demander quelques cerises et du chorizo. La réponse cordiale me revient dans un français impeccable. Cette jeune femme qui a vécu en France, elle est revenue s’installer dans la région d’origine de sa famille. Avec un camion et beaucoup de travail, ce jeune couple parcourt les villages pour les approvisionner en denrées essentielles.
Enfin de la jeunesse qui revient s’installer au pays !

Les premières cerises de la saison sont délicieuses. Le porte-monnaie n’est pas content, mais mon organisme est ravi de ce plaisir gustatif.
Je dîne en compagnie de Hans, du hollandais et d’une espagnole. Tout au long du repas cette dernière nous commente les plats que nous mangeons.
Nous sommes dans une région pauvre où, de tous temps, les gens ont consommé les produits dont ils disposaient. Forcément des produits de la ferme, sans farine animale, sans OGM. Donc, ce que nous avons dans nos assiettes est issu de l’agriculture et de l’élevage régional. La qualité des plats traditionnels est unanimement reconnue.
Je déguste avec attention mon repas. Il faut le reconnaître, tous les plats sont délicieux : Soupe, ragoût de cochon, "tortilla de patata".
Seule ombre au tableau mon palais de Bordelaise apprécie modérément le vin aigre du lieu.

Une surprise m’attend dans la chambre, les filles m’ont préparé un nid douillé. Installé entre leurs deux lits, mon carré mat est noyé sous des couvertures moelleuses. La nuit sera douce.

19 Mai


20 ème Etape : Lubina-A Gudina 20 Km

Aujourd’hui, nous allons à Gudina, 20 kilomètres.
Mon corps et mon esprit se rejoignent, ils n’ont pas envie de marcher ce matin.
Le départ est tardif, Molina se joint à nous, son genou va mieux.
Nous dépassons le sanctuaire de Tuiza. J’ai plaisir à marcher de nouveau en compagnie de Molina.
Le Camino serpente en descendant dans les sous bois. La terre exhale des senteurs humides.

Une surprise nous attend au détour du sentier. Le guide nous signale que le pont qui enjambe la rivière n’existe plus, mais qu’il est facile de traverser en utilisant les pierres qui sont dans l’eau. La théorie est facile, l’art est plus difficile. Après plusieurs minutes d’observations, il est évident que la pluie des derniers jours a fait monter le niveau de la rivière. Pour traverser, il faut se mettre dans l’eau, en ce qui me concerne jusqu'à la taille. J’envisage de traverser, sans mon sac, d’utiliser la corde que je trimbale pour sécuriser un lien entre les deux rives. Un simple regard échangé avec Evonne, me dissuade d’envisager cette éventualité.
J’ai bien lu dans son regard qu’il n’était pas question de traverser.

Une écoute attentive me permet de discerner la présence d’une route dissimulée à notre regard par une colline qui nous surplombe. Evonne souhaite rebrousser chemin, Molina et moi sommes d’avis de suivre notre boussole intérieure pour retrouver une route.
L’heure qui suit se décompose en franchissements de murets, passages dans des taillis, grimpettes dans une herbe aussi haute que moi. Je sens le doute puissant d’Evonne qui une fois encore s’insinue doucement en moi. Molina, toujours souriante, soutient mes options. Mon intuition est bonne.
Presque en ligne droite, en respectant les courbures accidentées du relief nous trouvons l’autoroute et à quelques mètres la route nationale. Le soulagement est visible dans le regard de chacune.

Cette journée, mal engagée va se poursuivre sans nouvelle péripétie. Nous serons identiques à un automobiliste aujourd’hui, nous allons suivre les panneaux indicateurs de direction, seulement notre vitesse relative est plus proche du 4 KM à l’heure que du 90 KM/H.
Le ruban de macadam s’étire, même si la circulation n’est pas intense, le moral en prend un coup.
Il est désagréable de marcher en bordure de route. Chacune s’absorbe dans ses pensées.
Nous faisons route commune et les filles s’adaptent à mon rythme. Mes jambes plus courtes ne suivent pas la cadence de leurs grands pas.

Au passage d’un col, la vallée qui s’étend à nos pieds nous dévoile un paysage sans grand attrait.
D’autant plus que l’option macadam est toujours de mise. Nous repérons un Pèlerin au loin, ce doit être Hans. De virage en épingle à cheveux, nous gagnons du terrain sur ce piéton, comme nous, perdu en bordure de route.
Une halte est nécessaire, un bar accolé à une station service nous tente.
Nous regardons par la fenêtre avec l’espoir de trouver Hans. Une rapide concertation et nous voilà attablées devant des sandwichs. Ils n’ont pas vu notre ami passer.
Je reprends la route avec les pieds qui traînent, décidément, ce n’est pas mon jour !

Nous croisons Hans qui avait bifurqué vers le village visible à Ouest dans la vallée. Il espérait trouver des magasins ouverts. Déçu, il retourne sur ses pas pour déguster un café dans le bar d’où nous venons.

Le macadam nous renvoi un maximum de chaleur, mon organisme est en surchauffe.
Nous cherchons un coin pour pique niqué. Devant ses étendues vastes, sans coin d’ombre, nous optons pour un bain de soleil en bordure de route. Mon esprit n’est certainement pas très clair pour accepter une pause en plein soleil.
Une demi-heure à cuire au soleil et je repars seule.
Je souhaite prendre de l’avance sur mes compagnes, mes genoux sont douloureux et je dois les ménager en marchant à mon rythme. De temps en temps, je croise des marquages au sol de flèches jaune, c’est plutôt rassurant.
Le Camino serpente autour de la route. Je suis tentée de quitter cette route, les chemins de terre sont plus agréables pour les pieds et la monotonie du paysage le long du ruban d’asphalte n’inspire pas ma « ballade ». Mais non, je suis seule, les filles sont derrière, je dois rester sur la route.

A la sortie d’un village dans lequel je n’ai pas rencontré âme qui vive, une voiture s’arrête. Son conducteur me propose de m’emmener à Gudina qui se trouve à 3 KM. Je suis fatiguée, mes genoux sont douloureux, je réclame de l’aide dans ma tête depuis plusieurs kilomètres, mais je refuse l’offre qui m’est faite. Ha ! La nature humaine, quel grand mystère ! Je me fustige mentalement. Que je suis stupide, une main m’est tendue au moment ou j’en ai besoin et je la refuse. La peur, stupide, sournoise et mauvaise conseillère a gagné sur ma foi en la nature humaine. Mon cerveau a dominé mon cœur. Le risque d’une mauvaise rencontre en auto-stop a pris le pas sur la richesse d’une rencontre potentielle avec un être humain qui me tendait la main. Je repense à une expérience similaire vécue par Edit. Quand elle m’a raconté son histoire, je n’avais pas bien compris son comportement. Voilà, maintenant j’ai 3 km pour méditer.

J’arrive à l’entrée d’A Gudina, un superbe panneau m’annonce un point d’information spécial Camino.
Un bâtiment flambant neuf expose son architecture avant-gardiste. Les capitaux européens sont bien employés. Seule ombre au tableau, la porte de ce temple dédié spécifiquement au Camino est close.
Je vois bien à travers la vitre les prospectus d’information et le mobilier qui m’offrirait un instant de repos. Mais voilà, le lieu est sans vie, fermé !
Une affichette annonce que ce bâtiment n’est pas ouvert. Elle renvoi le pèlerin qui passe par-là dans la rue principale à la recherche d’une sorte d’office de tourisme.
Je choisis un coin d’ombre pour attendre les filles.

Il nous faut encore plus d’un kilomètre avant d’atteindre le centre effectif du village.
Nous trouvons Hans qui devait guetter notre passage depuis son hôtel. Il nous accompagne jusqu'à l’albergue qui se trouve être fermée.
Et le marathon commence.
Après quelques minutes de repos je repars en compagnie d’Evonne en quête de l’office de tourisme.
Les habitants, cordiaux, ne savent pas ou la trouver. Ils nous indiquent systématiquement l’albergue.
En fin de compte ils ont raison, ce n’est pas un office de tourisme, c’est un musée.
La personne qui nous accueille n’a pas la clé, il faut téléphoner afin de contacter la personne en charge.
Je fini par la persuader que les pèlerins ne se promènent pas tous avec un téléphone portable qui fonctionne à l’international. Elle appelle pour nous, son correspondant qui lui répond qu’il mange (il est 15 heures) et que nous devons attendre qu’il ait terminé son repas !

Sur le chemin qui nous ramène auprès de Molina, qui est resté en faction auprès de nos sacs, nous croisons la bibliothèque. J’en profite pour aller prendre des nouvelles sur le net.
Une fois de plus la mise à disposition d’une liaison informatique pour la pèlerine que je suis est un vrai bonheur. J’ai juste l’énergie nécessaire pour envoyer trois lignes et surtout lire les nouvelles et savourer les encouragements. Je suis revigorée par ces mails. L’attention de mes amis qui me soutiennent dans cette démarche est essentielle. Mes réponses sont parfois courtes, la fatigue se fait sentir, mais l’émotion qui s’écoule à travers le réseau Internet est profonde.

Je retourne à l’albergue pour trouver porte close. Je tambourine sur la porte, pas de réponse.
J’en fais le tour pour trouver les filles et mon sac, rien, ni personne. Je m’apprête à tambouriner à nouveau sur la porte, quand un hollandais sort. Il m’explique qu’il ne peut pas me laisser entrer.
L’accueillant est strict. Les pèlerins qui arrivent doivent rester dehors jusqu'à ce qu’il se décide à ouvrir.
Un peu de patience et je suis bientôt introduite dans le gîte ou mon sac m’attend bien sagement.
Le temps de remplir les formalités, d’écouter attentivement les consignes débitées dans un espagnol difficilement compréhensible par une oreille non initiée et je retrouve Evonne et Molina qui ne semblent pas dans leur assiette.

L’albergue est moderne, propre, confortable. Par contre, les sanitaires des filles ne sont pas ouverts, pas « disponibles ». Nous soupçonnons une flémingite aiguë de la part de notre « hôte ».
Nous partageons donc avec les hommes la salle de bain. Plus d’une vingtaine d’hommes contre trois filles. Il va falloir faire sa place. Car dans ce monde d’hommes, ils font semblant de ne pas comprendre que nous souhaitons dans les sanitaires un minimum d’intimité.
C’est rare sur le chemin, mais de temps en temps, le respect est un mot qui sort du vocabulaire masculin.

A travers les remarques de mes amies je comprends mieux leur mal être.
Après nous avoir installées dans un coin, notre « hôte » rode régulièrement autour de nous.
L’atmosphère de ce lieu tout neuf et parfaitement adapté à nos besoins est pesante. Evonne parle de Gestapo et doucement l’idée chemine en moi. J’apprends que nous serons enfermées à partir de 9 heures. Je dis bien enfermées. Jusqu’alors, cette notion ne m’avait jamais effleuré l’esprit. Certes les portes de certaines albergue ferment à l’heure du couvre feu. Mais je n’avais jamais ressenti cette sensation d’emprisonnement. Nous n’avons pas le droit de faire entrer un pèlerin même ceux qui sont déjà installé dans l’albergue. Chacun doit se munir d’une clé au moment ou il sort, sous peine de se retrouver à la porte. Seul notre « hôte » a le droit d’ouvrir la porte de l’intérieur.
Que font les pèlerins qui arrivent pendant qu’il sort boire sa bière avec ses copains ? Ils attendent sagement le retour du « chef de la gestapo » en priant pour que la séance bière ne dure pas plus de trois heures. Ils ont une autre possibilité : Téléphoner. Pour cela il leur faut trouver un téléphone et maîtriser parfaitement l’usage de la langue espagnole. Car il va falloir négocier le retour du « gardien des clés » qui gère son emploi du temps au gré de ses besoins personnels.
Pas facile d’accéder au bien être d’un lit dans cette albergue.
Les règles c’est utile, mais point trop n’en faut.

Hans qui nous rejoint pour bavarder reste dehors ! C’est l’accueil pèlerin.
Pour étendre le linge face à la porte d’entrée, sur le fil, dans un patio extérieur, il est nécessaire de prendre une clé et de fermer derrière soi. Ne surtout pas laisser la porte entrebâillée durant la minute que dure l’opération.
Si j’étais le « Petit Prince » de Saint Exupéry, je changerais immédiatement de planète.
Pour fuir cette atmosphère malsaine, je sors avec Molina sur les bancs extérieurs.
Je fais un brin de sieste et nous partons faire quelques courses. Galamment Hans nous accompagne et nous offre une bière réconfortante. Nous aurions aimé l’inviter à partager notre repas ce soir, mais vu les circonstances cela n’est pas possible. Introduire dans l’albergue un autre pèlerin pour le nourrir nous semble beaucoup trop risqué.
Hans prend soin de téléphoner afin de nous réserver une chambre pour demain soir. Le village dans lequel nous allons dormir ne comporte qu’un seul hébergement. Les chambres sont à deux lits, nous aviserons sur place une organisation pour nous trois.
Evonne nous concocte un repas mi-végétarien.
C’est l’estomac bien garni que je rejoins les bras de Morphée.
Une inquiétude surnage à la surface de mon cerveau : je n’aime pas être enfermée.

18 Mai

19 ème Etape : Puebla de Sanabria-Lubina 30 Km

Molina se charge de véhiculer nos sacs à dos, ses genoux douloureux ne lui permettent pas de marcher. L’hôtelier, après nous avoir servi le petit déjeuner, nous indique un raccourci pour rejoindre le Camino. Aujourd’hui, je fais l’impasse d’une salutation à l’église du village.

L’aube se lève, superbe, des automobilistes nous confortent dans la direction à prendre. Une fois n’est pas coutume, les flèches sont rares et pas toujours en accord avec les descriptions du guide. Nous suivons la route, le macadam va dans la bonne direction et les panneaux de signalisation sont clairs.
Revigorée par ces quelques kilomètres où nous n’avons pas perdu le Nord et par une humilité retrouvée. Je décide de brancher à nouveau ma boussole interne et de suivre mon instinct.
Plus de doutes, je suis avec sérénité la direction que m’indique ma boussole interne.
Le miracle se produit, mes choix sont toujours les bons que nous soyons en pleine nature ou à l’intersection de deux routes, systématiquement les flèches jaunes réapparaissent.
Le jeu de piste est terminé, le doute s’est enfui, la confiance est de retour.

Les villages traversés sont pauvres, les maisons anciennes, et pour certaines à l’abandon.
Mais quelle beauté ! La pierre et le bois se marient harmonieusement, l’architecture adaptée à l’environnement forme un ensemble équilibré. L’être humain semble avoir déserté cette région.
Pas âme qui vive dans les rues, pas de bruit.
Evonne développe une théorie : le calme des villages explique la tendance expansive des habitants lorsqu’ils se retrouvent ensemble au bar. Le volume sonore pour des oreilles françaises ou hollandaises dans les bars est au-delà de notre seuil de confort. Nous avons du mal à résister à la pression que cela provoque sur nos sens. Leurs cafés si conviviaux et accueillants se transforment rapidement pour nos oreilles en lieux de torture auditive. Parfois nous réfléchissons à deux fois avant de franchir le seuil d’un de ces établissements.
La promesse de dégustation d’un « café con leche » l’emporte bien souvent, mais lorsque cela est possible, l’installation en terrasse reste la meilleure solution pour satisfaire à la fois nos papilles gustatives et notre nerf auditif.

Chaque village est un nouveau joyau. Les clochers, souvent accessibles, me permettent de sonner la cloche. Une tradition accorde au pèlerin le droit de signaler sa présence en carillonnant. Mon esprit ludique ne résiste pas à l’invitation et c’est avec délectation que je me prête à ce jeu, sous l’œil goguenard d’Evonne. En fait j’ai découvert ultérieurement que la cloche signal un danger pour les villageois. Il n’est donc pas recommandé de la sonner !

Nous déjeunons sur une terrasse à Padornelo. Notre hôtesse ravie de nous servir, nous comble d’attention. Elle nous apprend que Hans a déjà filé devant nous depuis une heure.
Cela ne nous empêche pas de prendre le temps nécessaire pour apprécier pleinement les sandwichs préparés à notre attention.

Le Camino devient plus sauvage, des gorges se resserrent autour de nous. L’aventure se précise.
Le chemin est inondé, les pluies des jours précédents ont raviné le sentier qui se trouve sous l’eau. C’est une rivière de boue, les pierres sont recouvertes d’eau. Tours et détours sont indispensables. Un peu d’observation, quelques années de pratique montagnarde et du bon sens permettent de déjouer les pièges du chemin. Les animaux sauvages ont tracé des sentes pour contourner les obstacles, il suffit de se laisser guider.
Evonne apprend à marcher sur l’eau en choisissant les pierres qui affleurent. Nous formons une bonne équipe, la confiance qu’elle accorde à mon jugement pour surmonter les difficultés galvanise mes capacités. Nous profitons pleinement de cette partie plus aventureuse.
C’est une réelle bénédiction de ne pas porter le sac à dos aujourd’hui. L’inspiration de ce matin était bonne. Je suis à présent très contente de ne pas avoir à porter ma maison sur mon dos.

Un pont en bois tout neuf nous aide à franchir un torrent. La chanson d’Yves Duteil me revient en mémoire : « Le petit pont de bois qui ne tenait plus guère que par un grand mystère et deux piquets tout droits ». Ici, au milieu de nul part, perdu dans ce creux de vallée, un pont de bois rutilant de jeunesse nous accueille pour une sieste bien méritée.

Le torrent s'ébroue joyeusement, il ruisselle sur les cailloux et produit une musique sauvage et vivifiante. L’eau cristalline qui s’écoule emporte la fatigue qui raidit les muscles. Nous sommes prêtes à repartir pour de nouvelles aventures !

Au détour d’un virage, nous découvrons avec stupéfaction une autoroute qui enjambe la vallée.
Des ouvrages d’art s’élancent, plantés sur des piliers colossaux. Un tapis magique survole la vallée, il emporte les automobilistes à vive allure.
Le décalage avec le paysage que nous venons de traverser est stupéfiant. La main de l’homme a réalisé des prodiges. Un ruban d’asphalte traverse de part en part ce paysage. Un tunnel creusé dans la montagne parachève l’œuvre.
Toujours plus vite, toujours plus loin, notre besoin de communication nous pousse à imaginer des créations qui répondent à cette nécessité moderne : la vitesse.
Le contraste est saisissant. Nous sommes pèlerines, nous avons choisit de voyager à pieds. Parcourir 4 kilomètres en marchant nécessite 1 heure, le trajet que nous effectuons quotidiennement se résume à une petite demi-heure de voiture.

Tout à coup, je réalise la chance qui m’est offerte. Je prends le temps de me rendre à pieds à Compostelle. De vivre pleinement cette expérience. Dans la vie moderne, le mode de déplacement est conçu pour économiser notre temps. Paris/Bordeaux en trois heures, Paris/Lima en 10 heures Nous catapultons notre organisme d’un point à l’autre de la planète. Les ponts enjambent les vallées, les tunnels traversent les montagnes, et nous, nous descendons à pieds, au fond des gorges et remontons pour passer les cols.
C’est un voyage à pieds, un voyage initiatique qui permet au corps et à l’esprit de trouver tranquillement leur harmonie.

Après ce bref intermède de civilisation moderne, nous retrouvons un paysage plus sauvage.
Les quelques villages traversés semblent sortis d’un livre d’histoire.
Nous faisons un voyage à travers le temps. La vie, ici, est restée figée. Je comprends mieux cette voix rapide, qui, à proximité permet de se rendre à grande vitesse dans la grande ville la plus proche.

Mais pour nous, la journée n’est pas terminée. D’une colline à l’autre, le sentier se déroule.
Un serpent, endormit en plein milieu du Camino, se fait prier pour regagner sa tanière.
Une biche fuit à notre approche.
Les pauses sont de plus en plus rapprochées, j’ai du mal à suivre les grandes jambes d’Evonne dans les descentes.

J’apprécie particulièrement notre solide amitié. Dans ces moments de grande fatigue, il est difficile de rester sereine. Le corps et le mental souffrent, la mauvaise humeur gagne du terrain. Nous ne savons pas avec exactitude combien de kilomètres restent à parcourir et dans quelle condition est le chemin. Les réserves d’énergie descendent rapidement. Mais notre synergie nous permet de nous épauler efficacement. Une pause, un encouragement, un trait d’humour, une main secourable sont toujours là au moment opportun.

Lubina apparaît enfin. Nous récupérons nos sacs à dos dans l’auberge privée ou s’est installée Molina. Le budget réclamé pour une chambre, un repas et le petit déjeuner est astronomique.
L’hôte furieux de notre décision de choisir l’albergue frise de très peu l’impolitesse vis à vis d’Evonne qui à encore assez d’énergie pour prendre les choses en main.
Le refuge qui se trouve à l’entrée du village nous ouvre ses portes. Enfin presque, avant de pénétrer dans ce lieu de repos, il nous faudra le mériter. Hans qui à réussit à dénicher les clés du refuge nous les confie. A peine en place l’accueillant arrive et nous somme de déclarer nos intentions. Une visite dans sa maison et de la diplomatie, le mettent de bonne humeur.
Le détour au magasin du coin remplit nos besaces.
Enfin, après moult tribulations, nous disposons d’un palace, rien que pour nous deux.
Nous ouvrons les volets, une vision qui englobe toute la vallée s’offre à nous. L’eau est chaude, la cuisine est bien équipée, le balcon est ouvert sur un paysage baigné par la lumière du soleil couchant.
Evonne nous concocte un repas succulent. Molina et Hans nous rejoignent pour partager un moment d’amitié.

Dans ce village de Lubina c’est la guerre. La guerre entre le refuge privé, dont la terrasse inondée de soleil vous accueille, mais où le pèlerin a besoin d’une bourse bien garnie ; et le refuge de la communauté, agréable, bien situé, propre mais fermé à l’usage du pèlerin qui arrive après une journée éprouvante de marche. Il faut courir tout le village pour dénicher les clés, montrer patte blanche au tenancier qui dans la foulée revient à plusieurs reprises vérifier qu’un pèlerin de dernière minute n’est pas entrain de resquiller l’hospitalité.

Le gîte est fabuleux, mais l’ambiance qui règne autour est inconfortable : porte fermée, course après 3 malheureux euros. L’intention est bonne, mais la mise en place de l’organisation humaine laisse à désirer. Dommage, c’est réellement un des meilleurs gîtes du chemin.
Nous profitons de la quiétude du lieu et la soirée se prolonge dans la froidure de la nuit.
Ultime confort, le radiateur électrique diffuse sa chaleur bienfaisante. Il réchauffe nos corps et finit de sécher nos vêtements.
Avant de m’endormir, je contemple la bougie d’Evonne. Son halo lumineux apaise mon esprit, il éloigne les soucis. Le Camino est merveilleux !
Je suis épuisée, mais demain mes forces seront revenues !