L’étape du jour est courte : 11 km pour rejoindre Caraboso et c’est tant mieux.
Je me réveille difficilement, ma tête est lourde, la migraine est tenace.
Mes genouillères n’ont pas fini de sécher. Il m’est impossible de les enfiler aujourd’hui, d’autant plus que la peau de mes genoux est en mauvais état. Un oubli de ma part, je savais pourtant qu’il ne faut absolument pas crémer mes genoux avant d’enfiler ses satanés engins. La crème, qui n’a pas été absorbée, se dépose sur le tissu et provoque des frottements extrêmement irritants.
Bref, ce matin, hors de question de marcher avec. Le chemin se confond avec la route goudronnée sur l’intégralité de l’étape, c’est jouable sans genouillères.
De toute façon, je n’ai pas le choix, je suis sur le Camino, on pourvoira pour moi.
La quiétude autour de l’albergue m’étonne, les familles de bohémiens ont repris leur chemin. Ils m’inspiraient un sentiment mélangé de crainte pour ma sécurité (un vieux réflexe: la peur de l’étranger) et un vif amusement, leur musique entraînante parlait à mon cœur.
Je me prépare un petit déjeuner copieux : arroze con leche (Riz au lait), yaourt à boire, banane et un litre de jus d’orange.
Tous les matins ma pompe à eau à besoin d’une bonne mise en route. Dans la mesure du possible, avant de marcher, j’ai déjà bu un litre de jus de fruit chaque matin, l’hydratation est l’une de mes priorités. Je ne veux pas souffrir de tendinite et je dois surveiller le poids de mon sac : 1litre d’eau = 1 kilo !
L’autre rituel du matin est moins agréable, mais absolument nécessaire. Etirer les jambes pour préparer les genoux à la tache qui les attend : marcher entre trois et sept heures par jour avec un sac de onze ou douze kilos.
Une fois l’estomac plein, le sac bouclé, mon cerveau enregistre que mes jambes sont très heureuses de cheminer sans leurs protections, qui certes aident la rotule à rester en place, mais gênent l’amplitude et la légèreté du pas. Ce matin, mes jambes profitent de leur liberté et me communiquent une certaine allégresse.
Depuis l’antique pont romain j’admire la vue superbe des murailles de Galisteo.
Le fleuve bleu s'étire paresseusement dans le paysage.
Le contraste avec hier est saisissant. L’eau, symbole de vie, est partout. Elle permet à la terre d’être riche. Bien arrosée, elle offre ses fruits au paysan. Les bovins, grâce à l’herbe grasse, sont bien portants.
Mes réflexions matinales se tournent vers l’eau, source de vie. La nature, plus généreuse ici, permet à l’homme de vivre et non de survivre. Le paysage est vert, les villages plus rapprochés. Hier, j’ai parcouru 30 kilomètres sans voir un seul village. La nature sauvage et sévère ne facilitait pas l’émergence d’un foisonnement de vie. Seuls les moutons, animaux rustiques, s’adaptent à ces conditions de vie. Encore faut-il que l’homme, à grand renfort de tracteur, leur fournisse de l’eau. Aujourd’hui, les veaux sont gras, les peupliers sont forts, les jardins potagers bien entretenus.
La main de l’homme utilise chaque parcelle de terre.
Dans le village d’Aldeahuela del Jerte, je bifurque vers l’église. Je distingue trois Caballero qui signalent l’arrivée d’un « peregrino ». Leur vue n’est pas bonne ou ma tenue vestimentaire est trompeuse, je leur signale qu’il s'agit « de una peregrina »!
Les bords de mon chapeau en cuire australien dissimulent mon visage.
L’église est ouverte, le prêtre fait répéter les candidats à la communion. J’assiste à un balai pas toujours bien réglé mais empreint d’une envie de bien faire. Le cœur, quoique dissonant, est plein de bonne volonté. La fraîcheur accueillante de l’église est une bénédiction. Je prends le temps de lire quelques versés de ma bible et d’apprécier le moment.
Mon sac me semble moins lourd à la sortie. Mes forces se sont elles régénérées ou me suis-je allégée d’un poids ?
Moins d’un kilomètre après avoir quitté le village, j’entends un sifflement. Wilhem, et le couple Hoffman (Ursula et Dietrich) me rejoignent. Je devise agréablement avec Ursula. Dietrich quant à lui profite de la présence masculine de Wilhem. Ils semblent particulièrement heureux de cet échange. Dietrich souffre des pieds, mais malgré ce handicap, c’est moi qui ralenti la marche. Je suis heureuse d’avoir retrouvé des compagnons.
Le téléphone portable d’Ursula sonne. Ses enfants prennent des nouvelles. Cet outil qui nous relie à la vie quotidienne est à la fois perturbateur (le mien est éteint à l’abri dans mon sac) et une source de grande joie. Chaque message ou contact avec les gens que nous aimons est précieux. Ils nous remplissent le cœur. Je peux sentir cette émotion à travers la voix d’Ursula. C’est un moment de bonheur partagé avec ses enfants.
Dietrich et Wilhem nous attendent sourire aux lèvres, ils se sont installés sur une grande balance de pesage pour camion. Dietrich utilise l’humour comme moyen de communication. Un humour léger et taquin. Une étincelle pétille dans ces yeux. Il aime faire rire, même quand il souffre affreusement des pieds.
Nous arrivons à 12 heures à Carcaboso. La fête se prépare. Les rues sont décorées de couleurs chatoyantes, les habitants costumés échangent des nouvelles. La procession va bientôt s’animer.
La terrasse d’un café ombragée nous attire.
Le « café con leche » est délicieux. Wilhem, à son habitude, nous offre une tournée de glace.
Ursula et Dietrich sont rejoints par des amis qui circulent en camping car.
Demain ils nous quittent, ils vont prendre de l’avance, ils ne disposent pas du temps nécessaire pour faire l’ensemble de la via à pieds. Ils organisent pour moi un dépôt d’eau à l’Arco de Caparra. L’étape est de 38 km jusqu’à Aldea nueva del Camino ce qui est irréalisable pour moi, aussi j’envisage de bivouaquer sous l’Arco à mi-chemin.
Pour marcher deux jours il me faut un minimum de 5 litres d’eau que je ne peux porter.
La solution du largage de l’eau est donc idéale pour moi.
Un restaurant, après quelques tractations dues à l’occupation du lieu en ce jour de fête, nous accueille pour le repas de la mi-journée. La tablée est très complète, nous avons été rejoints par Carlo un Italien. Mes compagnons décident de m’inviter, ils veillent sur la benjamine du groupe.
Ce soir je n’envisage pas de dormir à l’albergue, c’est une salle de sport ou il faut dormir par terre. Nous sommes au milieu du jour, je me laisse entraîner par Wilhem qui cherche la maison de Dona Elena, il a une réservation. Le bar que l’on nous indique est fermé. Heureusement des chaises nous tendent « les bras » sur le trottoir. L’information circule dans le village et Elena apparaît.
Je dispose bientôt d’une chambre, d’un lit, d’une salle de bain à l’étage et miracle : d’une terrasse pour faire sécher le linge et paresser dehors! Paresser, c’est un bien grand mot : crémage, massage et étirements sont au programme.
La musique de mon MP3 bien calée dans les oreilles, je rédige mes notes. Soudain, Rejeanne et Bob apparaissent comme par enchantement. Ils ont profité de cette journée courte pour aller visiter en taxi Plasencia après avoir laissé leur bagage ici.
Je descends boire une bière en compagnie de Carlo. Cet italien est très italien et très sympathique. Volubile et souriant, il me raconte sa vie.
Le cyber café est juste à coté. Je me faufile entre les adolescents de 12 à 16 ans qui jouent sur les machines afin d’accéder au comptoir. Ma déception est grande lorsque l’on m’annonce qu’aucune machine n’est disponible. Je retourne m’installer face à ma bière. Quelques instants plus tard une tête ébouriffée s’agite à la porte. Une place vient de se libérer. Le jeune gérant du magasin me communique l’information dans un grand éclat de rire. J’en profite pour envoyer mes premiers messages. C’est toujours un grand bonheur de communiquer avec ceux que j’aime et qui me soutiennent.
Spontanément, pour le repas du soir tous les pèlerins, se retrouvent dans le même restaurant.
Une grande tablée est installée. Une communauté de vie se crée.
Un moment exceptionnel, partagé non seulement entre nous, mais aussi par tous les Espagnols qui font la fête autour de nous.
Le tenancier nous offre moult digestifs, heureux de sentir ce moment de communion.
Nous communiquons dans différentes langues.
Il y à là : Rejeanne et Bob du Canada (en français et anglais), Wilhelm de Hollande (anglais, français et espagnol), Carlo d’Italie (anglais et français), Concha et Antonio d’Espagne ‘en espagnol), Suzana et Peter d’Autriche (en anglais) et moi (anglais, français et espagnol).
Le chemin a accompli son œuvre, la communauté existe, les nationalités sont effacées nous sommes tous pèlerins. La barrière des langues n’existe plus : anglais, français, espagnol, c’est Pentecôte !
Soirée merveilleuse. Demain chacun reprendra sa route avec dans le cœur cet instant partagé.
Le contraste avec hier est saisissant. L’eau, symbole de vie, est partout. Elle permet à la terre d’être riche. Bien arrosée, elle offre ses fruits au paysan. Les bovins, grâce à l’herbe grasse, sont bien portants.
Mes réflexions matinales se tournent vers l’eau, source de vie. La nature, plus généreuse ici, permet à l’homme de vivre et non de survivre. Le paysage est vert, les villages plus rapprochés. Hier, j’ai parcouru 30 kilomètres sans voir un seul village. La nature sauvage et sévère ne facilitait pas l’émergence d’un foisonnement de vie. Seuls les moutons, animaux rustiques, s’adaptent à ces conditions de vie. Encore faut-il que l’homme, à grand renfort de tracteur, leur fournisse de l’eau. Aujourd’hui, les veaux sont gras, les peupliers sont forts, les jardins potagers bien entretenus.
La main de l’homme utilise chaque parcelle de terre.
Dans le village d’Aldeahuela del Jerte, je bifurque vers l’église. Je distingue trois Caballero qui signalent l’arrivée d’un « peregrino ». Leur vue n’est pas bonne ou ma tenue vestimentaire est trompeuse, je leur signale qu’il s'agit « de una peregrina »!
Les bords de mon chapeau en cuire australien dissimulent mon visage.
L’église est ouverte, le prêtre fait répéter les candidats à la communion. J’assiste à un balai pas toujours bien réglé mais empreint d’une envie de bien faire. Le cœur, quoique dissonant, est plein de bonne volonté. La fraîcheur accueillante de l’église est une bénédiction. Je prends le temps de lire quelques versés de ma bible et d’apprécier le moment.
Mon sac me semble moins lourd à la sortie. Mes forces se sont elles régénérées ou me suis-je allégée d’un poids ?
Moins d’un kilomètre après avoir quitté le village, j’entends un sifflement. Wilhem, et le couple Hoffman (Ursula et Dietrich) me rejoignent. Je devise agréablement avec Ursula. Dietrich quant à lui profite de la présence masculine de Wilhem. Ils semblent particulièrement heureux de cet échange. Dietrich souffre des pieds, mais malgré ce handicap, c’est moi qui ralenti la marche. Je suis heureuse d’avoir retrouvé des compagnons.
Le téléphone portable d’Ursula sonne. Ses enfants prennent des nouvelles. Cet outil qui nous relie à la vie quotidienne est à la fois perturbateur (le mien est éteint à l’abri dans mon sac) et une source de grande joie. Chaque message ou contact avec les gens que nous aimons est précieux. Ils nous remplissent le cœur. Je peux sentir cette émotion à travers la voix d’Ursula. C’est un moment de bonheur partagé avec ses enfants.
Dietrich et Wilhem nous attendent sourire aux lèvres, ils se sont installés sur une grande balance de pesage pour camion. Dietrich utilise l’humour comme moyen de communication. Un humour léger et taquin. Une étincelle pétille dans ces yeux. Il aime faire rire, même quand il souffre affreusement des pieds.
Nous arrivons à 12 heures à Carcaboso. La fête se prépare. Les rues sont décorées de couleurs chatoyantes, les habitants costumés échangent des nouvelles. La procession va bientôt s’animer.
La terrasse d’un café ombragée nous attire.
Le « café con leche » est délicieux. Wilhem, à son habitude, nous offre une tournée de glace.
Ursula et Dietrich sont rejoints par des amis qui circulent en camping car.
Demain ils nous quittent, ils vont prendre de l’avance, ils ne disposent pas du temps nécessaire pour faire l’ensemble de la via à pieds. Ils organisent pour moi un dépôt d’eau à l’Arco de Caparra. L’étape est de 38 km jusqu’à Aldea nueva del Camino ce qui est irréalisable pour moi, aussi j’envisage de bivouaquer sous l’Arco à mi-chemin.
Pour marcher deux jours il me faut un minimum de 5 litres d’eau que je ne peux porter.
La solution du largage de l’eau est donc idéale pour moi.
Un restaurant, après quelques tractations dues à l’occupation du lieu en ce jour de fête, nous accueille pour le repas de la mi-journée. La tablée est très complète, nous avons été rejoints par Carlo un Italien. Mes compagnons décident de m’inviter, ils veillent sur la benjamine du groupe.
Ce soir je n’envisage pas de dormir à l’albergue, c’est une salle de sport ou il faut dormir par terre. Nous sommes au milieu du jour, je me laisse entraîner par Wilhem qui cherche la maison de Dona Elena, il a une réservation. Le bar que l’on nous indique est fermé. Heureusement des chaises nous tendent « les bras » sur le trottoir. L’information circule dans le village et Elena apparaît.
Je dispose bientôt d’une chambre, d’un lit, d’une salle de bain à l’étage et miracle : d’une terrasse pour faire sécher le linge et paresser dehors! Paresser, c’est un bien grand mot : crémage, massage et étirements sont au programme.
La musique de mon MP3 bien calée dans les oreilles, je rédige mes notes. Soudain, Rejeanne et Bob apparaissent comme par enchantement. Ils ont profité de cette journée courte pour aller visiter en taxi Plasencia après avoir laissé leur bagage ici.
Je descends boire une bière en compagnie de Carlo. Cet italien est très italien et très sympathique. Volubile et souriant, il me raconte sa vie.
Le cyber café est juste à coté. Je me faufile entre les adolescents de 12 à 16 ans qui jouent sur les machines afin d’accéder au comptoir. Ma déception est grande lorsque l’on m’annonce qu’aucune machine n’est disponible. Je retourne m’installer face à ma bière. Quelques instants plus tard une tête ébouriffée s’agite à la porte. Une place vient de se libérer. Le jeune gérant du magasin me communique l’information dans un grand éclat de rire. J’en profite pour envoyer mes premiers messages. C’est toujours un grand bonheur de communiquer avec ceux que j’aime et qui me soutiennent.
Spontanément, pour le repas du soir tous les pèlerins, se retrouvent dans le même restaurant.
Une grande tablée est installée. Une communauté de vie se crée.
Un moment exceptionnel, partagé non seulement entre nous, mais aussi par tous les Espagnols qui font la fête autour de nous.
Le tenancier nous offre moult digestifs, heureux de sentir ce moment de communion.
Nous communiquons dans différentes langues.
Il y à là : Rejeanne et Bob du Canada (en français et anglais), Wilhelm de Hollande (anglais, français et espagnol), Carlo d’Italie (anglais et français), Concha et Antonio d’Espagne ‘en espagnol), Suzana et Peter d’Autriche (en anglais) et moi (anglais, français et espagnol).
Le chemin a accompli son œuvre, la communauté existe, les nationalités sont effacées nous sommes tous pèlerins. La barrière des langues n’existe plus : anglais, français, espagnol, c’est Pentecôte !
Soirée merveilleuse. Demain chacun reprendra sa route avec dans le cœur cet instant partagé.
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