14 Mai

15 ème Etape : Riego Del Camino-Tabara 30 Km

Le petit déjeuner avalé à la hâte à 6 heures du matin, ne me tient pas au corps.
Malgré un lever de soleil qui embrase la campagne et enchante l’œil de mon appareil photo, mon esprit reste fixé sur mon estomac qui crie famine.
Les filles, toujours aussi alertes, mènent une cadence rapide qui ne me convient pas.
Nos rythmes sont décalés. Je suis installée dans mon Camino depuis 2 semaines, je prends le temps de le vivre pleinement et tranquillement, je profite de chaque instant. Cela implique non seulement un rythme de marche qui lent, mais surtout des arrêts nombreux pour contempler, méditer, discuter, rencontrer, photographier.
Je me laisse guider, je suis mon instinct, je fais taire ma raison et j’utilise toutes les fibres de mon être pour être en accord avec ce qui m’entoure.
Je me retrouve, pleinement moi et je suis beaucoup plus disponible à tous ce qui m’est extérieur.

Une discussion à cœur ouvert avec Evonne et Molina nous permet de nous ajuster.
Le tavernier du bar de Granja De Moreruela nous accueil chaleureusement. C’est lui qui s’occupe de l’albergue du village. Je crois que les pèlerins doivent être accueillis comme des coqs en pâte dans ce village ! La visite de sa cave, creusée sous son bar, nous permet de découvrir ces précieuses réserves. Creusée dans la terre, elle ne change pas de température et conserve parfaitement tout ce qui y est stocké, notamment le vin.

Dans le village nous avons aperçu un arbre dans lequel sont suspendues deux poupées de la taille d’un homme. Notre hôte nous explique qu’il s’agit d’une coutume ancestrale qui se poursuit de nos jours. Pour leur 18 éme anniversaire les jeunes gens du village font une fête dont le point d’orgue est d’accrocher le plus haut possible les mannequins qui sont sensés les représenter.

Pour l’heure, nous reprenons la route, escortées par notre aubergiste bavard qui se fait un point d’honneur à nous guider sur le bon chemin. C’est dans ce village que les deux routes se séparent l’une passant au-dessus du Portugal (Le chemin Mozarabe), l’autre rejoignant le Camino Frances.
Nous avons choisit de poursuivre notre marche sur le chemin Mozarabe. Ce Camino est suffisamment fréquenté ce qui nous offre la possibilité de rencontres intéressantes.

Nous traversons un paysage aride, la terre rouge s’accroche à mes chaussures. Ici l’homme a domestiqué la nature. Il a creusé des routes et construit des ponts qui lui permettent de franchir les obstacles, ainsi que des barrages pour domestiquer l’eau.
Dans ce paysage sauvage, le jardin paysagé modelé par la main humaine est superbe.
La retenue d’eau a apporté la vie.
Les rives du lac foisonnent d’une flore et d’une faune exubérante.
Le pont qui traverse la vallée parachève l’œuvre.

Nous nous arrêtons sur les rives du lac, rêvant d’un bivouac dans ce paysage enchanteur.
La vie et la mort restent intimement liées dans ce paradis. A proximité de notre aire de repos, une biche gît, morte au bord de l’eau. Quel destin tragique l’a amenée à perdre son dernier souffle dans ce paysage bucolique ? Ce réservoir d’eau, source de vie, modifie profondément ce paysage aride. La nature qui nous entoure explose de couleur. Mon esprit se nourrit de cette vie foisonnante avant de replonger dans une végétation sèche ou le regard n’accroche pas de couleurs aussi éclatantes.

Nous progressons sur une sente qui se perd dans un dédale de fourrés. Le vent, qui a balayé les nuages, rafraîchit la surface de notre peau. Nous redescendons dans une plaine cultivée. Des villages disséminés dans la vallée nous rappellent que la civilisation est bien là.
L’océan de blé ondule au gré des rafales de vent.

A nouveau le temps change. Les nuages masquent à présent le soleil et la température diminue.
Le vent, qui a forcit considérablement, nous oblige à sortir les coupe-vents du sac.
Au loin, nous distinguons Tabara, de l’autre coté de la plaine.
La faim tenaille à nouveau mon estomac. Le bar de Faramontanos de Tabara nous accueille. Nous dévorons chacune un paquet de gâteau, sous le regard ébahit des matrones du village.
Les commentaires vont bon train, elles sont admiratives et caustiques quant aux chances de réussite de ses trois étrangères qui portent de bien gros sacs à dos.

Les 8 kilomètres restant à parcourir jusqu’à Tabara vont compter double. Le corps est fatigué.
Tous les signaux d’alerte sont là : les genoux sont douloureux, les pieds aussi. Je ne sais plus comment positionner le sac pour soulager mon dos. Mes compagnes ne sont pas mieux loties.
Maintenant, il est indispensable que j’avance grâce à ma volonté.
J’envisage un instant de faire du stop, mais non !
La difficulté fait partie du chemin, celle ci n’est pas insurmontable.
Il faut trouver le moyen de remettre le pilote automatique en route dans mon esprit.
Quand la fatigue se fait sentir, l’esprit doit se libérer du corps pour ne plus penser aux petites misères qu’il subit. L’objectif est de concentrer sa volonté sur la marche et distraire l’esprit, lui trouver un sujet d’intérêt bien meilleur que la souffrance.

La musique, accès direct à des sensations et des émotions si profondes, elle est mon soutient en toutes circonstances. Elle enveloppe mon âme, mon être et mon esprit par sa magie. Quelques notes de « Carmina Burana » et voilà mon esprit qui s’envole, mon corps plus léger répond à cet appel. La technique est excellente, mais présente un inconvénient majeur.
Mon cerveau ignore les signaux de détresse envoyés par les différentes parties de mon corps et ne ménage plus les parties qui sont douloureuses.
A l’arrivée l’addition va être salée.
Mais pour l’instant, je marche ; non, je vole au-dessus du chemin.
Isolée dans ma musique, je ne suis pas seule à marcher, nous sommes dix, vingt, cent à avancer au rythme de cette musique venant du font des ages.
J’imagine ces pèlerins qui bien avant moi ont foulé ce chemin.
Affamés, mal chaussés, frigorifiés dans leurs vêtements, ils ont laissé leur destin se dérouler au fil de leurs pas. Soutenus par cette flamme que l’on appelle la foi, encouragée par des chants repris par des milliers de voix.

Et nous voilà arrivées, après plus de 30 kilomètres parcourus, en fait ce n’était pas si difficile.

Le refuge (albergue), de conception récente est mal entretenu.
Des sommiers de lits d’hôpitaux finissent de se dégrader dans la cuisine occupant l’espace de vie qui aurait pu être conviviale. Aucune des portes des toilettes ne ferme à clef, détail insignifiant qui ne vous met pas à l’aise pour officier dans un tel lieu. Le lieu est neuf, mais déjà dans un piteuse état. J’ai remarqué que l‘être humain, tend à reproduire un comportement qui reflète son environnement. Quand une albergue est propre, le comportement de la majorité des pèlerins s’adapte. Ils passent la serpillère après être passé à la douche. Ils nettoient la cuisinière après avoir préparé leur repas. Ils sont attentifs à utiliser les poubelles mises à leur disposition. Mais à l’inverse dan un lieu sale, je vous assure qu’il y en a, la fatigue l’emporte et le comportement n’est plus aussi civilisé. Couche de crasse sur couche de crasse s’accumulent. Ici ce n’est pas encore la crasse qui domine, mais le peu de soin mis dans l’entretient des locaux se fais sentir. C’est un bâtiment froid, vide sans âme. Il a le grand mérite d’exister et de nous abriter des intempéries. Grâce en soit rendue à ceux qui ont permis sa construction. Mais ce ne sont que quatre murs et un toit. Je repense à tous les sourires des hospitaliers qui ont jalonnés mon premier Camino. Le contraste est saisissant.

Il pleut, la grande lessive n’est pas pour ce soir.
Attention ! Demain il faudra impérativement sévir. Le poids du sac à dos est directement lié à son contenu. Le nombre de vêtements est donc extrêmement restreint. Trois Tee shirts, trois paires de chaussettes, un pull, deux pantalons et autant de sous-vêtements voilà toute ma richesse. Il est donc impératif de faire la lessive tous les jours, au pire tous les deux jours car le temps de séchage peut être important quand il pleut.

Dernières arrivées, nous sommes les dernières installées.
Pour économiser mes genoux qui demandent grâce, je descends un matelas par terre à coté de la fenêtre. Monter me percher en haut d’un lit superposé, c’est faisable. Mais descendre c’est une autre affaire.
L’eau chaude faisant défaut, la douche est froide.
La fin d’après midi est consacrée à la réparation des petites misères de mon organisme, pas le temps de faire la sieste.
Massage des jambes, étirements, crémage des pieds, hydratation de la peau.
Ne trouvant pas de bassine d’eau, je mets à tremper mes pieds dans une grande bouteille d’eau de 5 litres coupée en deux. L’eau salée finie de détendre mes muscles crispés.

C’est ainsi que mes deux complices canadiens me découvrent.
Qu’elle surprise merveilleuse !
J’en suis estomaquée. Coupant par la route asphaltée, ils m’ont rattrapée.
Le bonheur de les retrouver éclaire cette fin de journée, l’albergue grise et froide un instant plutôt est tout à coup illuminée par leur présence.
Rejeanne et Bob sont là devant moi, je n’en reviens toujours pas !
Je suis le regard préoccupé de Rejeanne, elle s’inquiète de me savoir dans cet endroit inconfortable.
Bob me nourrit de quelques friandises et de son humour décapant.
Ils m’arrachent une vague promesse de venir ce soir me nourrir correctement dans leur hôtel qui se situe à un kilomètre de l’autre coté du village.
Je ne sais pas ce qui les a poussés à accélérer leur rythme pour provoquer le plaisir de cette rencontre, mais en tout cas je suis ravie.
Dans ce moment de fatigue ou mon moral est au plus bas et ou mon corps paie un lourd tribu ; Bob et Rejeanne apparaissent comme par enchantement.
Leur présence réconfortante justifie à elle seule la poursuite de mon pèlerinage.
Le soleil qu’ils ont amené dans ma vie en rentrant dans cette cuisine, ressort brusquement quand ils repassent le seuil.
Avant de nous séparer Rejeanne me murmure des mots d’affection dans l’oreille. Quel trésor cette amitié! Yo te quiero tambien !

La fin d’après midi me trouve occupée à faire quelques courses dans l’une les épiceries du village.
Demain, sur le chemin, il n’y aura pas de possibilités de ravitaillement.
Alors aujourd’hui chacune s’organise pour adapter ses achats au mieux des besoins nutritionnels.
En fait, ce n’est pas tout à fait la vérité. Parfois des extra de luxe se glissent dans nos courses.
Friandises sucrées ou salées qui aliment agréablement l’organisme en plein effort ou encore une bonne bouteille de vin.
L’époux de l’épicière me recommande un vin local à déguster, appuyé à grand renfort de rigolade par ses copains. Il m’affirme qu’il accompagnera parfaitement le fromage et le chorizo que je viens d’acheter.
La conversation s’engage autour du pèlerinage. La plupart des espagnols que je rencontre rêvent de faire un jour le pèlerinage. « Aller à Santiago », rêve qui restera pour beaucoup à l’état de rêve.
Mais je suis sûre que je concrétise pour eux une part de ce rêve. Ils sont à la fois admiratifs et inquiets devant ce périple que j’ai entrepris seule. Pas tout à fait seule puisque j’ai choisi de partager un bout de mon chemin avec Evonne et Molina.

Ce soir, je leur impose une décision. Elles auraient certainement choisi de rester dîner à l’albergue. Mais je souhaite tellement dîner en compagnie de Rejeanne et Bob que je les pousse à m’accompagner.
Il s’avère qu’il est difficile de trouver un autre restaurant dans le village.
Durant ce repas mon sentiment est ambivalent. D’une part je suis comblée de retrouver Rejeanne et Bob et d’autre part je me sens fautive d’entraîner mes compagnes de voyage dans ce restaurant qui n’a rien de végétarien.
Nous rencontrons un nouveau compagnon Hans, il est fort distrayant. Mais je ne profite pas de l’instant présent. J’ai du mal à me séparer de mes amis Canadiens en fin de repas.
Le retour dans nos quartiers s’effectue dans une franche rigolade. Evonne partage avec moi un verre du délicieux breuvage acheté sur les conseils du « spécialiste » du coin.
Molina participe à nos libations par la pensée, elle s’abstient de boire tout alcool.
Nos compagnons de chambrée sont déjà couchés, nous nous glissons dans nos lits avec toute la discrétion requise.

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