15 Mai

16 ème Etape : Tabara-Calzadilla de Terra 28 Km

La nuit porte conseil.
Je reprends ce vieil adage, car au réveil, une décision c’est imposée.
Pendant les deux jours qui viennent, je souhaite marcher à nouveau en compagnie de Rejeanne et Bob. Cette prise de décision me libère d’un poids que jusque là je ne sentais pas, mais qui oppressais mon cœur.
Sentir et ressentir, je n’avais jamais fais la distinction.
Mon corps ne sentait pas, mais ce que je suis au plus profond de moi, ressentait cette nécessité : m’accorder encore deux jours de compagnonnage avec Rejeanne et Bob avant de les quitter définitivement car nos différents rythmes de marche vont nous séparer dans un proche avenir.

L’organisation avec les filles est rapide, nous nous retrouverons à Mombuey dans deux jours.
Ma décision réjouit mon cœur, nous allons toutes mettre à profit cette séparation pour vivre des chemins différents.
A l’origine de notre réflexion concernant la façon dont nous souhaitions partager le chemin, il était parfaitement clair que nous n’avions pas l’obligation de rester tout le temps ensemble.
Chacune vie son chemin et le chemin de chacune est différent.
Chemin de Traverse ou chemin rectiligne, le bon chemin c’est celui que chacune emprunte.

Nous descendons jusqu’au village et je m’engage sur le Camino pour choisir un coin propice à l’attente. Je regarde les filles s’éloigner. Merci les filles , cette liberté accordée m’est nécessaire.

Après une bonne heure de méditation le doute m’assaille. Pas un pèlerin n’est passé par-là depuis plus d’une heure.
Rejeanne et Bob sont t’ils passés par la route ?
Seront-ils contents de me voir ?
Ne vais-je pas envahir leur Camino ?
Sont-ils en bonne santé ?
Ai-je pris la bonne décision ?
Je retourne sur mes pas, dans ce petit matin frais. Le clocher de l’église du village est un excellent point de repère.
Je distingue sur la route un pèlerin. Hans a quitté l’hôtel avant de prendre le petit déjeuner.
Il n’a pas entendu mes amis bouger dans leur chambre. Je sens qu’il serait heureux de cheminer en compagnie.
Mais malgré le doute (j’ignore si Rejeanne et Bob sont déjà partis et il est 9 heures du matin), je ne vais pas l’accompagner.

Je décide d’aller voir à l’hôtel. Un quart d’heure de marche sur le macadam et la réponse est là, sous mes yeux. Mes amis sont attablés devant leur petit déjeuner en pleine conversation avec un couple de cyclistes. Je peux lire sur leur visage que la surprise est aussi agréable pour eux qu’elle le fut hier pour moi. Ils me convient à partager leur petit déjeuner.
Je leur fais part de mon projet qu’ils approuvent à grand renfort de sourire.
Pardon à ce jeune couple de cyclistes dont je ne peux même pas me souvenir la nationalité. Concentrée sur le bonheur ressenti par l’accueil chaleureux de mes amis, j’ai négligé de leur porter attention.

Nous sommes tellement contents de bavarder que pour la première fois nous suivons notre propre Camino et non le chemin qui peut nous mener à Calzadilla de Terra.
Nous perdons de vue les flèches qui nous guident. Personne ne s’énerve, chacun garde le sourire malgré les obstacles qui surgissent.
Une main tendue est toujours là pour rattraper celui qui manque de tomber et l’enthousiasme-nous fait oublier les kilomètres parcourus en supplément.
Nous sommes toujours d’accord sur la direction à prendre et bientôt nos pas foulent à nouveau le Camino.
Cette fois, Bob, attentif veille à ce que nos pas restent sur le chemin décrit par le guide.
Un guide écrit par des canadiens après lesquel il peste car certaines indications sont particulièrement imprécises. Les points de repères choisis pouvant être modifiés d’une saison à l’autre : la jolie décoration d’une clôture faite grâce à des sacs en plastique de couleur ne résiste pas aux intempéries.

De pause en pause, nous arrivons à Bercianos de Valverde qui semble être désert.
Nous sommes en quête d’un café. Il est prêt de Midi, le soleil cogne fort. Un arrêt confortable serait le bienvenu.
Une habitante d’un âge honorable surgit de nulle part. Elle nous indique avec gentillesse où trouver la taverne du coin. Le parcours n’est pas fléché, aucune enseigne ne distingue la façade qui ressemble à toutes les autres. Mais suivant la piste des indices dévoilés, nous écoutons attentivement pour trouver la source sonore qui indique l’entrée.
Derrière une porte, identique aux autres, le bar si bien caché est là !

Tout le village est réuni, les enfants jouent, les adultes discutent.
L’ambiance est animée et chaleureuse.
Pas de fumée de cigarette, pas de télévision déversant son flot d’information dans un déluge de bruit. La sérénité et la cordialité règnent dans ce lieu de communion.
Les habitants endimanchés nous décrochent des coups d’œil discrets accompagnés de sourires. Dans la cheminée un feu brûle. Les matrones surveillent la cuisson de petites brochettes.
Nous supposons que nous assistons à une tradition locale.
Après la messe, la communauté se retrouve pour déguster ces délicieuses brochettes.
Toutes les générations sont présentes.
Nous apprécions pleinement cette ambiance conviviale tout en savourant les fameuses brochettes. Cette plongée dans la vie des villageois à quelque chose d’irréel.
Moment de fraternité, la communauté villageoise rejoint notre démarche de pèlerin. Ils ont su préserver ce lien de respect et d’entraide, ils vivent ensemble et non pas les uns à coté des autres.

Une fois encore, le chemin nous a réservé cette surprise. Notre départ tardif et nos détours nous ont amenés au bon endroit, au bon moment. Ce n’est pas une démarche courante dans ma vie d’utiliser le « lâcher prise ». Sur le Camino c’est un mode de vie. La volonté, bien sûr permet d’avancer et de surmonter les obstacles, mais placer sa confiance dans la vie, retrouver la foi en demain est une expérience fabuleuse. Et j’avoue qu’il m’a rarement été donné de vivre une telle succession de moments aussi en harmonie.
L’équilibre entre ma vie interne et les éléments qui me sont extérieurs est divin.

Mais pour l’heure il faut ressortir affronter la canicule. La fraîcheur bienfaisante des plantations de peupliers évoque ma maison. La nostalgie est de courte durée.
Le sentier serpente dans une futaie et nous trouvons un banc installé « à notre attention ».
Notre pique nique se transforme en communion, je porte dans mon sac à dos une petite bouteille gentiment donnée par Molina qui contient la partie non consommée de ma « fabuleuse » bouteille de vin du terroir. C’est l’occasion de célébrer notre bonheur d’être ensemble pour partager ces moments intenses.

Les heures défilent et les kilomètres ne sont pas avalés aussi rapidement qu’ils devraient l’être.
Nous arrivons vers 16 h à Santa Marta de Tera. Le refuge privé nous ouvre ses portes, mais ce n’est pas notre destination. Nous envisageons une simple visite du lieu. Je souhaite m’assurer que les filles sont bien là. Elles sont installées dans une pièce uniquement pour elles deux. Dans la cheminée un feu crépite, elles sont radieuses.
Hans tente de convaincre mes compagnons de rester sur place. Mais j’avoue que la perspective d’une bonne nuit à l’hôtel, situé 11 kilomètres plus loin, me séduit.
L’hésitation ne dure qu’un petit quart d’heure et nous repartons guidés par la route jusqu’à Calzadilla de Terra.

Nous arrivons fourbus mais content dans un hôtel très confortable.
Il est tard, le temps de se laver et de faire une grande lessive et il est déjà l’heure de déguster un repas plantureux. J’avais besoin de cette nuit de confort : une chambre chauffée, un grand lit moelleux, une baignoire spacieuse, de l’eau chaude à satiété, quel luxe !

Ce soir je pense à mes amis du premier Camino Edit, Claudia et Andreas qui me soutiennent, m’encouragent et veillent sur moi. Ils m’ont recommandé de bien prendre soin de moi. Ce soir je tiens compte de vos conseils avisés mes amis !

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