21 Mai

22 ème Etape : Campobecerros-Laza 11 Km

Aujourd’hui le temps est maussade, le brouillard est épais. Nous prenons le petit déjeuner au bar de l’hôtel. Quelques cerises dégustées avec le café remontent le moral. Ce matin il me faut convaincre mon cerveau que, malgré la pluie qui commence à tomber, je vais sortir pour continuer le Camino. Mon corps a gardé inscrit dans sa fibre le froid et l’inconfort des journées de pluies précédentes.
Il renâcle devant la promesse d’une journée froide, brumeuse et désolante. Mais fort heureusement, mon esprit, définitivement optimiste, se demande s’il est vraiment nécessaire d’enfiler le poncho immédiatement.

Ce qui est intéressant dans mon organisme c’est qu’une fois que j’ai enclenché la marche avant, les muscles chauffent, le corps se décontracte, la machine est lancée. Et, à moins de douleurs trop marquées dans les genoux, il poursuit vaillamment son chemin jusqu’à l’objectif fixé par ma tête.

Le brouillard joue à cache cache et nous dévoile des paysages magnifiques. Le Camino est facile à suivre nous sommes sur une route sinueuse très peu fréquentée. Parfois nous empruntons une piste forestière. Une légère bruine tombe par intermittence, habillage, déshabillage.
C’est un exercice de style que nous arrivons à réaliser sans même nous arrêter : enlever une manche, dégager la bretelle du sac à dos d’un geste précis pour faire glisser le vêtement de pluie, réajuster le sac et recommencer l’opération sur l’autre coté. Puis ajuster à sa taille le vêtement qui sera à réutiliser dans quelques kilomètres.

Evonne, toujours assoiffée d’espace, marche devant nous tout en étant restant vigilante pour ne pas nous perdre dans le brouillard. Le temps n’est pas propice aux haltes, nous grignotons en marchant. Molina à encore mal à son genou.

Etonnamment, cette matinée est un enchantement. La nature est superbe. L’odeur est extraordinaire, l’air saturé d’humidité embaume la résine des sapins. Ces géants nous dominent de toute leur taille.
A tout instant, je m’attends à voir traverser une biche ou un cerf. La nappe de brouillard enrobe la nature d’une atmosphère magique. Cette matinée est propice à l’écoute. Mon champ visuel est réduit et je suis plus attentive aux odeurs et aux bruits de la forêt ou du torrent qui coule en contrebas.
Je me sens plus proche des lointains pèlerins qui parcouraient la Via Plata pour aller voir Saint Jacques. Mon esprit vagabonde en compagnie des marcheurs d’un autre temps.
Je mets mes pas dans les leurs.
Nous redescendons des collines pour aborder une vaste plaine. Le soleil resplendit à nouveau. Nous arrivons à Laza à 12h30.

Le fléchage de l’albergue est impeccable. Nous trouvons rapidement la Protection Civile.
Un charmant secouriste nous embarque dans un 4x4 avec nos sacs à dos pour nous emmener à destination.
Nous découvrons une albergue flambant neuve.
Ouverte sur l’extérieur, aérée, confortable, avec une cuisine digne d’un grand chef et un dortoir rien que pour nous. C’est Byzance !
Sur les conseils avisés de notre guide nous retournons dans le village faire quelques emplettes avant la fermeture des magasins.

L’après midi est un délice de farniente. Le soleil réchauffe nos corps alanguis sur la terrasse.
Cette pause est la bienvenue, la fatigue accumulée s’efface. La préparation du repas est suivie d’une sieste. L’après midi s’écoule au rythme d’une grande lessive, de franches rigolades, d’écriture, de discussions amicales, de massages. Cette pause est une bénédiction pour le corps et l’esprit. J’apprécie pleinement la présence de mes amies.

Quelques pèlerins profitent également de ce havre de paix.
Un français d’origine basque surexcité m’entreprend en français. Je suis inconfortable dans ma propre langue. A plusieurs reprises le cas s’est présenté. Je rencontre des français et j’ai beau leur expliquer que mes amis ne parlent pas français, ils n’ont jamais la courtoisie d’utiliser le langage qui nous est commun : l’Anglais. Ils ignorent tout simplement mes compagnons de voyage, ne s’adressant qu’à moi. Je suis intolérante, je n’arrive pas à l’accepter, leur grossièreté me fait mal. J’aimerais être fière de présenter des compatriotes à mes compagnons de chemin et partager avec eux des émotions de pèlerinage. Mais je n’arrive pas à accepter que mes amis en soient exclus. J’ai la capacité de traduire dans le cas ou l’Anglais ne serait pas un point fort chez mon interlocuteur, mais l’opportunité ne m’en est pas donnée. Est-ce une qualité qui nous fait défaut, nous un peuple d’accueil depuis des décennies ? C’est un problème que j’ai rencontré lors de mon premier Camino et je ne suis toujours pas arrivée à le résoudre. Cela provoque en moi une réaction d’exaspération que je n’arrive pas à surmonter. Alors je ne parle pas français et je m’écarte volontairement de mes compatriotes. J’ai même parfois un comportement qui n’est pas toujours aussi cordial qu’il devrait l’être.

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