27 Avril

1 ére Etape : Caceres-Casare de Caceres 11 Km

Il est 23h00, je pars de la maison. Je ferme la porte et jette mon trousseau de clés dans la boite aux lettres. Mon premier sentiment est mélangé : une sensation de bonheur à l’idée de retrouver bientôt le Camino mais aussi la nostalgie du départ.
Je replonge un instant dans mes souvenirs du premier Camino. J’étais partie à pied, à 5h00 du matin. La nuit avait été courte car l’excitation du départ avait mangé mon repos. J’avais rejoint la place Nansouty à coté de chez moi et suivi la route de Toulouse jusqu’à la rocade. Ce souvenir est si présent, si vivant dans ma mémoire : une force puissante m’attirait sur le chemin, malgré tous les obstacles qui avaient surgi avant même le départ.

Aujourd’hui, je vais prendre un bus : mon Camino ne commence pas au seuil de la maison. Je me sens un peu moins pèlerine. Mais l’appel du chemin me gagne. Je rejoins la gare pour trouver plusieurs personnes qui patientent devant la vitrine de l’agence d’Euroline.
La silhouette d’une jeune femme pourvue d’un sac à dos se distingue, une pèlerine peut être ?
Venu d’Allemagne, elle va commencer son Camino à Burgos. Il me semble de bon augure de rencontrer une pèlerine dès le départ. Derrière les questions qu’elle me pose, je devine une légère inquiétude au commencement de cette aventure. Je m’efforce de la rassurer en partageant avec elle les bonheurs de mon premier Camino.

L’autobus arrive à 0h30 et nous prenons le départ. Un jeune couple part visiter Séville.
Un passionné de foot, qui suit son club (Marseille) dans tous ses déplacements, rejoint la ville de son enfance. Des conversations passionnées se mettent en place.
Le sommeil fini par gagner la partie et je me réveille à l’entrée de Burgos. La Cathédrale est plus impressionnante que dans mes souvenirs. Mes compagnons de voyage me recommandent une lecture : Le théorème du Perroquet de Guedj (pour ceux qui aiment les mathématiques). Voilà déjà des projets pour le retour.

L’Espagne défile sous mes yeux. Les paysages à l’approche de Caceres sont secs, de plus en plus secs. L’angoisse me saisit. La nature semble tellement aride et inhospitalière, ce n’est peut être pas raisonnable de prendre le chemin seule.
Les souvenirs des récits de pèlerins rencontrés à Santiago me reviennent en mémoire : un Camino, difficile, rude, avec peu d’eau, réservée aux gens aguerris. Le doute me saisit. Le bus dépasse la ville de Casar de Caceres : ne devrais-je pas demander au chauffeur de m’arrêter là, c’est ma destination du jour. Je n’aurais pas à marcher 11 km, sous un soleil de 15h, torride.
D’après le guide, il n’y a pas un seul point d’ombre ou s’abriter des rigueurs du soleil. Je repousse le doute. Le bus me dépose à la gare de Caceres, exactement à l’opposé de ma destination.

Branle-bas de combat : j’affine l’équilibrage de mon sac. Je l’allège du sandwich que je n’ai pas mangé. Je fais le plein d’eau. J’enfile mes guides rotuliens. Je crème abondamment les parties exposées de mes bras et jambes. Je vérifie ma feuille de route. Je déplie mes nouveaux battons télescopiques (avec amortisseurs intégrés, luxe suprême !) et me voilà partie : il est 15h00.

Ma stratégie est simple : demander mon chemin tant que je rencontre du monde. La plupart du temps, les habitants sont ravis de m’apporter leur concours. Je traverse la ville sur l’axe Sud/Nord tout en recherchant les trottoirs ombragés. Un banc public m’offre un arrêt pour refaire le serrage des lacets et l’ajustement du sac à dos. La banane qui dépasse de la poche droite de mon sac (ma réserve de nourriture), finit dans mon estomac. L’objectif est d’alléger mon sac à dos. Un homme d’âge mûr m’aborde. Nous échangeons des salutations et j’obtiens une orientation et une bénédiction.

La ville nouvelle s’étire en direction des vieux quartiers. Les larges avenus sont parcourus par des allées d’arbres à l’ombre bienfaisante. La ville ancienne est superbe : rues piétonnes, palais, places, arcades, tout est préservé. Son passé riche se reflète dans ses monuments. Je trouve la Plaza Mayor avec, comme souvent, la mairie. Je vais enfin pouvoir tester l’efficacité de mon guide. Je l’ai conçu grâce à Evonne et à partir d’une compilation de trois guides : un en français, ne contenant pas grand-chose, et deux autres en langue anglaise. Les indications sont précises et c’est avec plaisir que je vois la sortie de la ville arriver. Je prends le temps d’un ultime arrêt ombragé avant d’affronter la chaleur torride qui m’attend entre Caceres et Casar de Caceres.
Je décide de faire ma première photo avant de me lancer sur le chemin. Je mets mon équipement en valeur : mon sac de 8 kilos sera ma coquille pendant un mois, il va répondre à tous mes besoins.
Je m’élance en bord de route, sur l’asphalte chaude. Au rond point, des feux et un aménagement spécial me permettent de traverser la route principale, très fréquentée, en toute sécurité. Ce rond point est quelque peu éloigné de la ville, je soupçonne une intervention de fonds européens pour aménager ce rond point pèlerin. Je traverse en toute sécurité, enfin presque : un automobiliste sans doute surpris de voir le feu rouge me passe sous le nez.
Le macadam s’étire dans un paysage aride. Seule, au bord de la route, je n’ai plus de doutes. Je suis sur le Camino, je me sens bien.

A quelques kilomètres de là, je rencontre mon premier pèlerin : Wilhem. Un hollandais bruni par le soleil qui vient de Séville à un train d’enfer : 40 km, voire plus, par jour. Son luxe est de dormir dans tous les « Parador » qui se présentent sur son chemin. Pèlerin d’un autre âge, il marche pour réfléchir, toute la journée au grand air, il invente. Biochimiste, il révolutionne notre quotidien par ses inventions, il prend le temps de marcher pour pouvoir nous offrir les merveilles que son cerveau concocte. C’est un personnage attachant et atypique. Tout le monde se demande, en le rencontrant pour la première fois, si ses longs cheveux blancs sont attachés à son chapeau. Il me confie avoir rencontré très peu de pèlerins sur La Via Plata.

Nous gagnons Casar de Caceres de concert pour nous séparer à l’entrée du village, mon objectif étant de trouver l’albergue, le sien l’hôtel qu’il a réservé.
Les habitants m’orientent vers la mairie. L’albergue se trouve en face du bâtiment officiel. Un autochtone me détourne de mon objectif vers le bar du coin qui possède le tampon pour valider la crédentiale. Mon premier tampon, symbole des premiers pas déroulés sur le chemin.
Un pèlerin allemand, Ulrich, me fait découvrir mon gîte pour la nuit. Les dortoirs sont grands et nous ne sommes que cinq. Je redescends partager une bière avec Ulrich. Son Camino est difficile, ses pieds le font souffrir.

Je suis préoccupée, demain l’étape prévue est de 22 km, mais l’hôtel qui se trouvait être le seul point d’arrêt est fermé. Il faut pousser jusqu’à Carnaveral, 15 km plus loin. Je suis persuadé qu’une solution va s’offrir à moi. Une étape de 37 km n’est pas envisageable pour un premier jour de marche.
Je remonte dans la salle commune de l’albergue. Une pèlerine Allemande consulte son guide, je lui demande sa stratégie pour demain. Ursula et Dietrich son époux en compagnie d’Ulrich vont prendre un taxi pour les 11 premiers kilomètres. Ils acceptent bien volontiers de partager avec moi.
Je prends une douche et fait un peu de lessive quand j‘entends les cloches de l’église qui sonnent à la volée. Attirée par ce tintamarre, je découvre une église baignée par les rayons du soleil couchant. Une communauté d’une dizaine de femmes commence la prière. Je me joins à elles.
Ma voisine de banc partage son livre avec moi et me guide dans les prières. A la fin elle me présente une requête. Faire une prière à Compostelle pour une jeune femme dont c’est aujourd’hui l’anniversaire et qui à des difficultés dans la vie. C’est toujours impressionnant d’être investi de l’espoir des autres. C’est certain, je ne vais pas marcher seule sur le Camino ! Je fais quelques courses à l’épicerie du coin pour le petit déjeuner et le pique nique de demain. Puis je dîne copieusement au restaurant en compagnie de Jacques un pèlerin Français et Ulrich.

A notre retour à l’albergue, Dietrich qui à un sens de l’humour décapant anime joyeusement notre soirée. Un espagnol débarque tardivement. Sa journée a sans doute été longue il semble très épuisé.
Je me retire tôt pour profiter d’une longue nuit de sommeil. Mais c’était sans compter notre pèlerin espagnol qui ronfle comme un sonneur. Je change de dortoir pour assurer à mon corps un sommeil réparateur. Les sonneries répétitives de l’horloge de la mairie ne me dérangent pas. Ce sera pourtant un sujet de conversation au petit déjeuner et mes condisciples évoquent même la possibilité de faire une pétition pour que le maire « endorme » son horloge durant la nuit.

Aucun commentaire: