19 Mai


20 ème Etape : Lubina-A Gudina 20 Km

Aujourd’hui, nous allons à Gudina, 20 kilomètres.
Mon corps et mon esprit se rejoignent, ils n’ont pas envie de marcher ce matin.
Le départ est tardif, Molina se joint à nous, son genou va mieux.
Nous dépassons le sanctuaire de Tuiza. J’ai plaisir à marcher de nouveau en compagnie de Molina.
Le Camino serpente en descendant dans les sous bois. La terre exhale des senteurs humides.

Une surprise nous attend au détour du sentier. Le guide nous signale que le pont qui enjambe la rivière n’existe plus, mais qu’il est facile de traverser en utilisant les pierres qui sont dans l’eau. La théorie est facile, l’art est plus difficile. Après plusieurs minutes d’observations, il est évident que la pluie des derniers jours a fait monter le niveau de la rivière. Pour traverser, il faut se mettre dans l’eau, en ce qui me concerne jusqu'à la taille. J’envisage de traverser, sans mon sac, d’utiliser la corde que je trimbale pour sécuriser un lien entre les deux rives. Un simple regard échangé avec Evonne, me dissuade d’envisager cette éventualité.
J’ai bien lu dans son regard qu’il n’était pas question de traverser.

Une écoute attentive me permet de discerner la présence d’une route dissimulée à notre regard par une colline qui nous surplombe. Evonne souhaite rebrousser chemin, Molina et moi sommes d’avis de suivre notre boussole intérieure pour retrouver une route.
L’heure qui suit se décompose en franchissements de murets, passages dans des taillis, grimpettes dans une herbe aussi haute que moi. Je sens le doute puissant d’Evonne qui une fois encore s’insinue doucement en moi. Molina, toujours souriante, soutient mes options. Mon intuition est bonne.
Presque en ligne droite, en respectant les courbures accidentées du relief nous trouvons l’autoroute et à quelques mètres la route nationale. Le soulagement est visible dans le regard de chacune.

Cette journée, mal engagée va se poursuivre sans nouvelle péripétie. Nous serons identiques à un automobiliste aujourd’hui, nous allons suivre les panneaux indicateurs de direction, seulement notre vitesse relative est plus proche du 4 KM à l’heure que du 90 KM/H.
Le ruban de macadam s’étire, même si la circulation n’est pas intense, le moral en prend un coup.
Il est désagréable de marcher en bordure de route. Chacune s’absorbe dans ses pensées.
Nous faisons route commune et les filles s’adaptent à mon rythme. Mes jambes plus courtes ne suivent pas la cadence de leurs grands pas.

Au passage d’un col, la vallée qui s’étend à nos pieds nous dévoile un paysage sans grand attrait.
D’autant plus que l’option macadam est toujours de mise. Nous repérons un Pèlerin au loin, ce doit être Hans. De virage en épingle à cheveux, nous gagnons du terrain sur ce piéton, comme nous, perdu en bordure de route.
Une halte est nécessaire, un bar accolé à une station service nous tente.
Nous regardons par la fenêtre avec l’espoir de trouver Hans. Une rapide concertation et nous voilà attablées devant des sandwichs. Ils n’ont pas vu notre ami passer.
Je reprends la route avec les pieds qui traînent, décidément, ce n’est pas mon jour !

Nous croisons Hans qui avait bifurqué vers le village visible à Ouest dans la vallée. Il espérait trouver des magasins ouverts. Déçu, il retourne sur ses pas pour déguster un café dans le bar d’où nous venons.

Le macadam nous renvoi un maximum de chaleur, mon organisme est en surchauffe.
Nous cherchons un coin pour pique niqué. Devant ses étendues vastes, sans coin d’ombre, nous optons pour un bain de soleil en bordure de route. Mon esprit n’est certainement pas très clair pour accepter une pause en plein soleil.
Une demi-heure à cuire au soleil et je repars seule.
Je souhaite prendre de l’avance sur mes compagnes, mes genoux sont douloureux et je dois les ménager en marchant à mon rythme. De temps en temps, je croise des marquages au sol de flèches jaune, c’est plutôt rassurant.
Le Camino serpente autour de la route. Je suis tentée de quitter cette route, les chemins de terre sont plus agréables pour les pieds et la monotonie du paysage le long du ruban d’asphalte n’inspire pas ma « ballade ». Mais non, je suis seule, les filles sont derrière, je dois rester sur la route.

A la sortie d’un village dans lequel je n’ai pas rencontré âme qui vive, une voiture s’arrête. Son conducteur me propose de m’emmener à Gudina qui se trouve à 3 KM. Je suis fatiguée, mes genoux sont douloureux, je réclame de l’aide dans ma tête depuis plusieurs kilomètres, mais je refuse l’offre qui m’est faite. Ha ! La nature humaine, quel grand mystère ! Je me fustige mentalement. Que je suis stupide, une main m’est tendue au moment ou j’en ai besoin et je la refuse. La peur, stupide, sournoise et mauvaise conseillère a gagné sur ma foi en la nature humaine. Mon cerveau a dominé mon cœur. Le risque d’une mauvaise rencontre en auto-stop a pris le pas sur la richesse d’une rencontre potentielle avec un être humain qui me tendait la main. Je repense à une expérience similaire vécue par Edit. Quand elle m’a raconté son histoire, je n’avais pas bien compris son comportement. Voilà, maintenant j’ai 3 km pour méditer.

J’arrive à l’entrée d’A Gudina, un superbe panneau m’annonce un point d’information spécial Camino.
Un bâtiment flambant neuf expose son architecture avant-gardiste. Les capitaux européens sont bien employés. Seule ombre au tableau, la porte de ce temple dédié spécifiquement au Camino est close.
Je vois bien à travers la vitre les prospectus d’information et le mobilier qui m’offrirait un instant de repos. Mais voilà, le lieu est sans vie, fermé !
Une affichette annonce que ce bâtiment n’est pas ouvert. Elle renvoi le pèlerin qui passe par-là dans la rue principale à la recherche d’une sorte d’office de tourisme.
Je choisis un coin d’ombre pour attendre les filles.

Il nous faut encore plus d’un kilomètre avant d’atteindre le centre effectif du village.
Nous trouvons Hans qui devait guetter notre passage depuis son hôtel. Il nous accompagne jusqu'à l’albergue qui se trouve être fermée.
Et le marathon commence.
Après quelques minutes de repos je repars en compagnie d’Evonne en quête de l’office de tourisme.
Les habitants, cordiaux, ne savent pas ou la trouver. Ils nous indiquent systématiquement l’albergue.
En fin de compte ils ont raison, ce n’est pas un office de tourisme, c’est un musée.
La personne qui nous accueille n’a pas la clé, il faut téléphoner afin de contacter la personne en charge.
Je fini par la persuader que les pèlerins ne se promènent pas tous avec un téléphone portable qui fonctionne à l’international. Elle appelle pour nous, son correspondant qui lui répond qu’il mange (il est 15 heures) et que nous devons attendre qu’il ait terminé son repas !

Sur le chemin qui nous ramène auprès de Molina, qui est resté en faction auprès de nos sacs, nous croisons la bibliothèque. J’en profite pour aller prendre des nouvelles sur le net.
Une fois de plus la mise à disposition d’une liaison informatique pour la pèlerine que je suis est un vrai bonheur. J’ai juste l’énergie nécessaire pour envoyer trois lignes et surtout lire les nouvelles et savourer les encouragements. Je suis revigorée par ces mails. L’attention de mes amis qui me soutiennent dans cette démarche est essentielle. Mes réponses sont parfois courtes, la fatigue se fait sentir, mais l’émotion qui s’écoule à travers le réseau Internet est profonde.

Je retourne à l’albergue pour trouver porte close. Je tambourine sur la porte, pas de réponse.
J’en fais le tour pour trouver les filles et mon sac, rien, ni personne. Je m’apprête à tambouriner à nouveau sur la porte, quand un hollandais sort. Il m’explique qu’il ne peut pas me laisser entrer.
L’accueillant est strict. Les pèlerins qui arrivent doivent rester dehors jusqu'à ce qu’il se décide à ouvrir.
Un peu de patience et je suis bientôt introduite dans le gîte ou mon sac m’attend bien sagement.
Le temps de remplir les formalités, d’écouter attentivement les consignes débitées dans un espagnol difficilement compréhensible par une oreille non initiée et je retrouve Evonne et Molina qui ne semblent pas dans leur assiette.

L’albergue est moderne, propre, confortable. Par contre, les sanitaires des filles ne sont pas ouverts, pas « disponibles ». Nous soupçonnons une flémingite aiguë de la part de notre « hôte ».
Nous partageons donc avec les hommes la salle de bain. Plus d’une vingtaine d’hommes contre trois filles. Il va falloir faire sa place. Car dans ce monde d’hommes, ils font semblant de ne pas comprendre que nous souhaitons dans les sanitaires un minimum d’intimité.
C’est rare sur le chemin, mais de temps en temps, le respect est un mot qui sort du vocabulaire masculin.

A travers les remarques de mes amies je comprends mieux leur mal être.
Après nous avoir installées dans un coin, notre « hôte » rode régulièrement autour de nous.
L’atmosphère de ce lieu tout neuf et parfaitement adapté à nos besoins est pesante. Evonne parle de Gestapo et doucement l’idée chemine en moi. J’apprends que nous serons enfermées à partir de 9 heures. Je dis bien enfermées. Jusqu’alors, cette notion ne m’avait jamais effleuré l’esprit. Certes les portes de certaines albergue ferment à l’heure du couvre feu. Mais je n’avais jamais ressenti cette sensation d’emprisonnement. Nous n’avons pas le droit de faire entrer un pèlerin même ceux qui sont déjà installé dans l’albergue. Chacun doit se munir d’une clé au moment ou il sort, sous peine de se retrouver à la porte. Seul notre « hôte » a le droit d’ouvrir la porte de l’intérieur.
Que font les pèlerins qui arrivent pendant qu’il sort boire sa bière avec ses copains ? Ils attendent sagement le retour du « chef de la gestapo » en priant pour que la séance bière ne dure pas plus de trois heures. Ils ont une autre possibilité : Téléphoner. Pour cela il leur faut trouver un téléphone et maîtriser parfaitement l’usage de la langue espagnole. Car il va falloir négocier le retour du « gardien des clés » qui gère son emploi du temps au gré de ses besoins personnels.
Pas facile d’accéder au bien être d’un lit dans cette albergue.
Les règles c’est utile, mais point trop n’en faut.

Hans qui nous rejoint pour bavarder reste dehors ! C’est l’accueil pèlerin.
Pour étendre le linge face à la porte d’entrée, sur le fil, dans un patio extérieur, il est nécessaire de prendre une clé et de fermer derrière soi. Ne surtout pas laisser la porte entrebâillée durant la minute que dure l’opération.
Si j’étais le « Petit Prince » de Saint Exupéry, je changerais immédiatement de planète.
Pour fuir cette atmosphère malsaine, je sors avec Molina sur les bancs extérieurs.
Je fais un brin de sieste et nous partons faire quelques courses. Galamment Hans nous accompagne et nous offre une bière réconfortante. Nous aurions aimé l’inviter à partager notre repas ce soir, mais vu les circonstances cela n’est pas possible. Introduire dans l’albergue un autre pèlerin pour le nourrir nous semble beaucoup trop risqué.
Hans prend soin de téléphoner afin de nous réserver une chambre pour demain soir. Le village dans lequel nous allons dormir ne comporte qu’un seul hébergement. Les chambres sont à deux lits, nous aviserons sur place une organisation pour nous trois.
Evonne nous concocte un repas mi-végétarien.
C’est l’estomac bien garni que je rejoins les bras de Morphée.
Une inquiétude surnage à la surface de mon cerveau : je n’aime pas être enfermée.

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