17 ème Etape : Calzadilla de Terra-Mombuey 30 Km
Ce matin, le ciel ne dévoile pas le soleil, la brume domine le paysage.
J’avale un petit déjeuner copieux en compagnie de Rejeanne et Bob quand l’équipe de hollandais débarque. Aujourd’hui ils ont décidé de suivre la route, car la pluie rend difficile la marche sur le Camino. Raisonnablement nous en ferrons autant.
Je sors le poncho du sac et prépare mon corps à parcourir sous la pluie les 30 kilomètres qui nous séparent de Mombuey. Il est étonnant de constater notre manque d’intérêt pour la météo du lendemain. Nous vivons dehors, les conditions climatiques régissent donc notre quotidien. Et pourtant personne ne se précipite sur le journal ou la télévision pour connaître le temps qu’il fera le lendemain. Peu importe puisque demain nous serons sur le chemin que la météo soit favorable ou non.
Nous avançons sur l’asphalte au pas cadencé. Les distractions sont peu nombreuses. Chacun s’enferme dans sa tête. Une première halte dans un hôtel restaurant nous réconforte.
Le tenancier, jovial, nous accueille cordialement. Son bar est désert, mais il s’active pour le nettoyer à fond. Le magasin qui le jouxte est constitué d’un ensemble d’articles hétéroclites.
Mais il a pris soin de prévoir tout le matériel qu’il juge nécessaire à la pérégrination d’un pèlerin.
Nous regrettons de ne pas avoir le temps de faire une halte d’une nuit dans son hôtel.
Sa gentillesse mérite mieux qu’une salle vide.
Les kilomètres s’égrènent, rythmés par une chanson.
Il y a quelques mois un Français rencontré à Compostelle fredonnait cette chanson.
Tous les matins nous prenons le chemin,
Tous les matins nous allons plus loin,
Jour après jour la route nous appelle,
C’est la voie de Compostelle.
Ultreia, Ultreia, Es sus ella, Deus adjuva nos.
Chemin de Terre et chemin de Foi,
Voie millénaire de l’Europe,
La voie lactée de Charlemagne,
C’est le chemin de tous les Jacquets.
Ultreia, Ultreia, Es sus ella, Deus adjuva nos
Et tout là bas au bout du continent,
L’apôtre Jacques nous attend,
Depuis toujours son regard fixe le soleil qui meurt au finistère.
Ultreia, Ultreia, Es sus ella, Deus adjuva nos.
Cette chanson de marche, je l’ai apprise en même temps que mes amis canadiens, elle cadence merveilleusement le pas.
La pluie tombe, elle nous accorde de temps en temps un quart d’heure de répit. Nous en profitons pour avaler des friandises qui nous remontent le moral.
Nous croisons à nouveau le groupe de Hollandais dans le bar de Rionegro del puente.
Les réflexions de l’un de leur membre me mettent mal à l’aise. Il considère le Camino comme un lieu de rédemption par la souffrance. Il semble penser que mes genouillères sont le signe visible d’une souffrance voulue et offerte en rédemption. Je ne partage pas son opinion, mais il persiste lourdement dans cette direction à chaque occasion de rencontre.
Il est rare que sur le Camino quelqu’un essaye d’imposer ses vues, la tolérance et l’ouverture d’esprit sont des vertus très pratiquées.
Ce sentiment de malaise en leur présence s’accentue à chaque nouveau contact.
A chacun son chemin et ils sont parfois très différents.
La tenancière nous prépare de délicieux sandwichs.
Depuis quelques temps elle voit passer toujours de plus en plus de pèlerins. Elle tamponne avec fierté notre crédentiale, il faut dire que son tampon est superbe.
Les hommes du village défilent pour venir chercher le pain, c’est l’occasion de boire un verre et de prendre des nouvelles.
Nos vêtements de pluie sont à peine secs que nous repartons. Je remets, avec une grimace, les guides rotuliens qui sont humides.
La visite de l’église du village nous tente, mais il faut auparavant trouver les clés. Cette fois, la morosité du temps l’emporte et nous repartons sur le macadam sans avoir visité la maison de Dieu.
Nous croisons un Polonais désorienté par la pluie. Il n’avait pas prévu dans son programme de pèlerinage les jours de pluie. Il est découragé et cherche un bus ou un quelconque moyen de transport lui épargnant cette marche pluvieuse.
Certes, même équipé, l’humidité finie par s’infiltrer dans tous les recoins et la sensation n’est pas agréable. Mais cela fait partie du chemin, ce n’est pas une randonnée d’agrément, chaque jour est différent et parfois les éléments ne sont pas favorables.
Tout est relatif, je suis persuadée que ce soir un lit bien chaud attend chacun de nous. Notre époque moderne nous offre la possibilité de nous retrouver au sec ce soir. Hier j’ai appelé les deux hôtels de Mombuey afin de réserver une chambre pour Rejeanne et Bob, malheureusement ils étaient complets. Je sens l’inquiétude grandissante de Bob qui souhaite absolument trouver une chambre confortable pour Rejeanne ce soir.
La journée est difficile, la fatigue s’accumule et l’humidité pénétrante refroidit notre température corporelle. Je réalise tout à coup que mes deux amis veillent l’un sur l’autre. L’inquiétude de l’un est dissipée par le sourire de l’autre. La sollicitude de l’un est acceptée librement par l’autre.
Il ne s’agit pas de surprotection, mais de veille attentive à l’autre.
L’un donne, l’autre reçoit. Chacun à leur tour ils bénéficient de la force de l’autre.
Ils se soutiennent dans les moments de faiblesse. Ils partagent leur vie.
Pour mon plus grand bonheur, ils ont choisi, de me faire participer à leur aventure.
Cela explique en partie l’allégresse que je ressens dans mon cœur.
Malgré la pluie qui tombe, le macadam qui n’en finit pas de se dérouler, les camions qui nous frôlent de trop près, le froid qui envahit la moindre parcelle de mon corps, je suis heureuse d’être là. Bien vivante ! Je sens la vie qui coule dans mes veines.
Je suis absolument sûre que nous allons trouver une chambre confortable pour mes amis.
Nos besoins seront pourvus, la foi me porte.
Le ciel s’éclaircie en vue du village de Mombuey, l’hôtel La Ruta est là, sous les rayons du soleil.
Une chambre disponible attend mes amis.
Je les quitte, mais pas avant qu’ils ne m’aient arraché la promesse de revenir squatter le plancher de leur chambre dans le cas ou je ne trouverais pas d’abri satisfaisant pour la nuit.
Je suis rassurée de les savoir installés confortablement au sec.
Je n’ai aucun mal à trouver le refuge dans le village. C’est un local vétuste, surchargé de pèlerins.
Les Hollandais me désignent un matelas au sol, la dernière place disponible.
J’enlève mon poncho et mon sac à dos. Pour la première fois depuis mon départ je sais que je ne veux pas dormir dans ce refuge, je n’aime pas ce lieu ou les filles de toute façon n’ont pas de place où dormir.
Je ne défais pas mon sac, l’ambiance est suffocante. Je ressors immédiatement pour aller boire une bière au bar du coin.
Les joueurs de cartes sont en pleine activité.
La télévision égraine des sons qui s’ajoutent aux brouhahas ambiants.
La fumée de cigarette enveloppe la salle d’une ombre grise, mais je reconnais deux sacs à dos qui attendent sagement leurs propriétaires. Evonne et Molina se sont allégée pour la marche d’aujourd’hui. J’espère qu’elles ont réservé une chambre.
J’observe la « faune », en grande majorité masculine, qui m’entoure. La génération mayor se retrouve ici pour socialiser. Jeux de cartes, nouvelles échangées, les habitués me jettent des regards pas si indifférents. Chacun tient sa place. Les jeunes s’arrêtent quelques minutes pour boire un café. Les retraités chahutent autour des cartes en refaisant l’ancien monde. Les plus âgés regardent la vie qui bat autour d’eux. Je suis étrangère à leur monde, uniquement de passage, mon accoutrement les intrigue un instant. Les pèlerins passent. Ils glissent tels des ombres dans leur univers bien réglé, pas de quoi en faire cas !
Les filles apparaissent sur le trottoir d’en face, je me précipite pour leur ouvrir la porte et leur souhaiter la bienvenue. Les embrassades sont chaleureuses, nous sommes heureuses de nous retrouver.
Elles sont fourbues. Molina souffre des genoux, mais un sourire éclaire son visage.
Elles ont suivit le Camino, l’épreuve était difficile, la pluie a rendu le sentier glissant.
Rapidement, Evonne, grâce à sa volonté magique, transforme la réservation.
Nous disposons à présent d’une chambre à trois lits douillets. Bien au sec, entourée de l’amitié chaleureuse de mes compagnes, je rends grâce pour cette nouvelle journée.
Mon bonheur ne peut être plus complet. Cette force de vie qui palpite à l’intérieur de moi m’inonde de sa chaleur.
Qu’il est facile de parcourir le Camino !
Serais-je capable de traverser la vie aussi facilement ?
Quand mon cœur me guide, aucun doute, la direction est toujours la bonne.
Cet état de grâce, serais-je capable de le conserver ?
En attendant, j’en déguste chaque minute, j’apprends l’art du « lâcher prise » et j’écoute avec attention ma boussole interne.
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